Faites vous plaisir !

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L'analyse du professeur


À la limite de la vulgarité, et assurément puisée dans le lexique contemporain le plus familier de l’interjection lancée au détour d’une conversation amicale, cette expression paraît bien loin des sujets les plus sérieux de philosophie. Pourtant, si l’on songe qu’elle pourrait être un slogan de Mai 68 (« Jouissez sans limites »), ou qu’elle pourrait figurer au frontispice du jardin d’Épicure, sa dignité philosophique peut apparaître comme plus ambiguë. Mot d’ordre d’une dénonciation d’une conception plus moralisatrice du bonheur, le choix du plaisir correspondrait alors à un refus de la raison contre l’élection du corps.
La difficulté posée par le « faites-vous plaisir » est propre à la définition du plaisir, dont l’ambiguïté manifeste se situe dans le fait qu’une telle formulation paraît inciter à profiter de l’immédiat et de l’intense, à rechercher une satisfaction urgente et violente, tout en ne pouvant exclure le fait que le plaisir est largement dépendant d’une évaluation plus intellectuelle, puisque l’homme s’oriente en fonction de sa capacité rationnelle à choisir des objets de satisfaction qui peuvent alors l’éloigner de l’immédiat et de l’intensité la plus violente des sensations. Se pose donc le problème de savoir sur quoi se fonde l’évaluation du plaisir, c’est-à-dire de savoir comment chacun en vient à se forger une représentation de ce qui lui agrée et détermine sa satisfaction.
Nous chercherons ainsi tout d’abord à montrer que le plaisir semble dépendre des sens, et que l’égoïsme de la satisfaction conduit à privilégier une conception passionnelle du plaisir. Nous montrerons toutefois les limites d’une telle conception, en remarquant que la conception du soi impliquée dans le « vous » de la formule indique la nécessité de se réflechir, et donc d’acquérir une conscience de soi à la troisième personne dans laquelle vient se loger la morale. Cependant, malgré la dépolarisation du moi qui se joue dans une telle conception du plaisir, nous en viendrons finalement à reconnaître que la relativité du jugement moral conduit à privilégier une conception moins traditionnelle du plaisir, pour adopter un hédonisme éthique conforme à la conception moderne du sujet.
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