Y a-t-il des sociétés plus naturelles que d’autres ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


La Fable des abeilles de Mandeville est une sorte de conte philosophique au moyen duquel ce célèbre représentant des premières formes d’utilitarisme compare la société humaine à une société animale, et cherche ainsi à montrer que les hommes n’ont pas naturellement intérêt à se détruire mutuellement, mais sont enclins à coopérer pour le plus grand bien-être de tous et de chacun. Pourtant, l’histoire semble démontrer que cette utopie d’une société naturelle, qui se dispenserait de la régulation politique et juridique d’un État, ne peut exister en pratique et confine au conflit. La nature peut-elle être une norme, un fondement de la sociabilité ? Y a-t-il un sens à parler de sociétés naturelles ? Comment distinguer les critères de la naturalité ?
Réfléchir à la question de savoir si certaines sociétés sont plus naturelles que d’autres engage ainsi à se poser le problème de ce qui fait le lien social, et, si tant est qu’il peut sembler naturel, à s’interroger sur la façon de respecter cette forme de naturalité. Le problème paraît en ce sens reposer sur une contradiction évidente : toute société semble à la fois naturelle, puisqu’elle est composée d’individus qui sont d’abord déterminés par ce qu’ils sont par nature, comme non naturelle, puisqu’elle implique nécessairement que la coexistence entre ces individus modifie la simple expression de ce qu’ils sont par nature, au point de construire une culture qui discipline, voire bouleverse, les données naturelles. Quelle est la limite au-delà de laquelle la transformation de la nature permet de caractériser un arrachement à cette nature ? Toute culture n’est-elle pas par principe une non-nature ? Jusqu’à quel point peut-on identifier une nature qui serait un norme, et au regard de laquelle on pourrait distinguer des sociétés plus naturelles que d’autres ?
Nous chercherons tout d’abord à définir la notion de société naturelle, afin de montrer qu’elle permet de distinguer différents types de sociétés, naturelles et non naturelles. Nous en viendrons toutefois ensuite à constater que le critère de distinction que nous avons construit revient à essentialiser le comportement de l’homme, et à ne pas prendre conscience que la notion de nature ne peut signifier la même chose chez l’homme que pour tout animal. Dès lors, nous tenterons, dans la dernière partie de notre raisonnement, de montrer que l’homme a paradoxalement une nature culturelle, c’est-à-dire qu’il n’est possible à son égard de parler de société naturelle qu’en acceptant que le critère naturel se fonde moins sur des caractéristiques essentielles que sur des valeurs morales.
(...)