Sartre, L'Être et le Néant (1943), Tel, Gallimard, p. 88.

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L'analyse du professeur


L’hypothèse de l’inconscient, construite par Freud pour expliquer un certain nombre d’expériences psychiques difficilement compréhensibles à partir d’une théorie classique de la conscience (comme maîtrise de l’ensemble des évènements qui se passent en moi), a fait l’objet de nombreuses critiques, dont celles notamment de Sartre, qui juge qu’elle contribue à renforcer la mauvaise foi du sujet recherchant des excuses pour se soustraire à sa responsabilité. Le texte qui est ici soumis à notre étude porte sur ce problème de l’utilité et de la pertinence de la théorie psychanalytique du refoulement, théorie qui se situe à la base de l’hypothèse de l’inconscient, puisqu’elle décrit le mécanisme par lequel un individu censure un certain nombre de choses qu’il ne peut assumer. Sartre défend ici plus particulièrement l’idée que l’explication de la censure par l’inconscient est incohérente, parce qu’elle se trompe sur la nature de la censure, en ne s’apercevant pas que la conscience, même dans la censure, garde toujours un contact avec ce qu’elle censure (et donc une responsabilité). Nous verrons dans un premier temps que Sartre part du sens commun pour montrer que la censure ne pourrait servir d’argument psychanalytique qu’à la condition de prouver qu’une censure sans conscience est possible, ce qui semble contradictoire dans les termes : le problème de la censure dépend donc de la définition de la conscience. Nous en viendrons alors à saisir que le rejet sartrien de l’hypothèse de l’inconscient, et donc de l’utilité de la psychanalyse, se fonde sur le fait que les explications qu’elle formule ne font que renforcer la mauvaise foi du sujet qui censure : elle ne peut lutter contre un mal qu’elle excuse.

[...]

Plan proposé

Partie 1

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 Si en effet nous repoussons le langage et la mythologie chosiste de la psychanalyse nous nous apercevons que la censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu’elle refoule. " Sartre relève ici une sorte de paradoxe interne à la censure, puisqu’elle connaît et est familière de ce qu’elle rejette. Elle se désintéresse de ce qu’elle finit par se désintéresser, ce qui semble témoigner à la fois d’une volonté de se rapprocher de ce qui finit par ne plus être digne d’intérêt. L’allusion à la psychanalyse veut dire que seul dans le cas de ce type d’approche (par l’inconscient), la censure ne procède pas d’une conscience aigue des choses.

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Si nous renonçons en effet à toutes les métaphores représentant le refoulement comme un choc de forces aveugles, force est bien d’admettre que la censure doit choisir et, pour choisir, se représenter. La psychanalyse défend la thèse du refoulement, c’est-à-dire la thèse selon laquelle l’esprit ne peut assumer certains événement traumatiques, et se trouve dès lors contraint de les « oublier », c’est-à-dire en rejette pas conscience dans un inconscient continuant pourtant à déterminer le fonctionnement des actes et des paroles. À part ce cas-là, le choix de censurer (qui impliquer une volonté et une décision), procède toujours d’une analyse, d’une capacité à comprendre rationnellement la nature de ce que l’on censure (il y a toujours des raisons de la censure).

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D’où viendrait, autrement, qu’elle laisse passer les impulsions sexuelles licites, qu’elle tolère que les besoins (faim, soif, sommeil) s’expriment dans la claire conscience? Et comment expliquer qu’elle peut relâcher sa surveillance, qu’elle peut même être trompée par les déguisements de l’instinct ? Mais il ne suffit pas qu’elle discerne les tendances maudites, il faut encore qu’elle les saisisse comme à refouler, ce qui implique chez elle à tout le moins une représentation de sa propre activité. Sartre cherche ici à mettre en difficulté le mécanisme du refoulement, en supposant que l’identification de la censure ) un processus de refoulement est contradictoire, parce que pour refuser et rejeter une chose, il faut supposer une raison de le faire, ou en tout cas une façon de le faire (nous n’avons aucune raison de censurer des choses qui nous sont inconnues, ou inconcevables). Autrement dit, pour être censuré, il faut être conçu.

Partie 2

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En un mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de so i ? Savoir, c’est savoir qu’on sait, disait Alain. Disons plutôt: tout savoir est conscience de savoir. Ici commence une véritable démonstration rigoureuse, puisque Sartre ne se contente plus de montrer qu’il y a l’apparence d’un paradoxe : il va déconstruire et détailler le mouvement de la conscience pour montrer que la conscience exclue dans son fonctionnement la possibilité de repérer quelque chose comme un inconscient. Le point de départ de cette analyse est le fait que tout savoir implique une conscience de soi (le savoir n’est jamais extérieur à un sujet pensant : il est en même temps un savoir de soi, c’est-à-dire qu’il est toujours situé dans un sujet qui y importe ses propres modalités de pensée).

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Ainsi les résistances du malade impliquent au niveau de la censure une représentation du refoulé en tant que tel, une compréhension du but vers quoi tendent les questions du psychanalyste et un acte de liaison synthétique par lequel elle compare la vérité du complexe refoulé à l’hypothèse psychanalytique qui le vise. Sartre décrit ici les étapes de la construction du refoulement : représentation, compréhension, liaison synthétique. Il montre en effet que lorsqu’il y a refoulement, il y a toujours une représentation active (de ce qui est refoulé, sous la forme d’une chose censurée que l’esprit remplace par une autre et détourne pour pouvoir assumer), représentation contre laquelle se bat le thérapeute afin de construire une autre compréhension, permettant au malade d’assumer la chose et de ne pas en être victime (construction d’un autre lien entre le facteur traumatique et le sujet).

c

Et ces différentes opérations à leur tour impliquent que la censure est consciente de soi. Mais de quel type peut être la conscience de soi de la censure? Il faut qu’elle soit conscience d’être conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour n’en être pas conscience. Qu’est-ce à dire sinon que la censure doit être de mauvaise foi ? La psychanalyse ne nous a rien fait gagner puisque, pour supprimer la mauvaise foi, elle a établi entre l’inconscient et la conscience une conscience autonome et de mauvaise foi. » Sartre finit par montrer que le sujet qui refoule est en fait un sujet de mauvaise foi, dans la mesure où le mécanisme du refoulement n’est pas vraiment un mécanisme inconscient, contre lequel il ne peut rien. Le sujet possède toujours un accès (biaisé) au refoulé, puisque son esprit continue à détourner le sens de ce qu’il ne peut pas assumer. Le problème de la censure pose donc le problème de savoir comment lutter contre ce détournement du sens ce qui est vécu. À cet égard, pour Sartre, la psychanalyse n’est d’aucune utilité, puisqu’elle remplace la mauvaise foi de la conscience qui n’assume pas ce qui est traumatique par une excuse qui rend le sujet impuissant : la présence d’un inconscient au regard duquel il n’est plus responsable de ses actes. La psychanalyse s’oppose donc ici à une forme de théorie et de pratique de la responsabilité que cherche à défendre Sartre.