Rousseau, Contrat social,l, 4

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L'analyse du professeur


La vie en société est lourde de contraintes légales et morales qui la rendent souvent pesante pour les individus, à tel point que Sartre a pu concevoir l’exigence de la liberté en affirmant dans Huis Clos que « L’enfer c’est les autres ». Pourtant, la contradiction entre la liberté et les règles sociales n’est pas aussi simple que ne pourrait le laisser penser cette conception apparemment conflictuelle de la liberté. Il semble en effet que la liberté est un fondement de tout contrat social, et que son existence n’est pas vraiment dissociable de la possibilité de déterminer des règles à sa réalisation.
C’est en tout cas la thèse que défend Rousseau dans Du contrat social, qui affirme l’exigence de la liberté civile, et fonde ainsi une conception particulièrement rigoureuse du pacte républicain. Dans le texte qui nous préoccupe, il s’attache ainsi à montrer que la liberté est une propriété fondamentale de l’homme, qui ne lui appartient pas de façon unique et exclusive, mais qu’il partage avec les autres, à tel point qu’il ne peut s’en départir et en user sans renoncer à sa qualité d’homme.
Nous nous attacherons à élucider cette thèse en montrant tout d’abord quels sont les enjeux d’une conservation de la liberté, pour ensuite comprendre en quoi la liberté est ce qui fonde par principe le contrat social, au sens juridique du terme.

(...)

Plan proposé

Partie 1 : Les enjeux de la liberté.

Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité,même a ses devoirs.

Par cette phrase, R désigne trois choses différentes :

a

L’humanité de l’homme, qui est ce qu’il est pour lui-même de façon particulière, c’est-à-dire ce qu’il est en tant que personne singulière différente des autres, et qui le distingue de ses autres parce qu’il peut faire des choix propres.

b

L’humanité en l’homme, qui est ce qu’il est comme représentant d’une espèce, c’est-à-dire ce qu’il a en commun avec les autres, et détermine la dignité humaine en fonction de ce qu’il est possible de déterminer comme commun à tous.

c

Les devoirs de l’homme, qui sont ce qu’il est obligé de faire par une règle morale. Cette règle morale dépend de la liberté, puisque sans liberté, l’homme ne peut être considéré comme responsable de ses choix propres.

Ces trois choses sont des conséquences du renoncement à la liberté dans la mesure où seule la liberté semble pouvoir enjoindre une telle compréhension de l’homme, qui ne se distinguerait sinon pas du reste du règne animal.

Partie 2 : L’impossibilité de renoncer à sa liberté.

a

Il n y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté.

Le fondement ultime de l’argumentation de R réside dans le lien entre liberté et volonté. Ce lien est en effet essentiel, dans la mesure où seule la liberté permet d’accorder une quelconque valeur à la volonté. Sans une telle liberté, l’homme ne pourrait correspondre à la représentation qu’il a de lui-même comme être décidant de son destin, et il ne pourrait pas non plus construire une société selon les déterminations de son vouloir.

b

Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes.

Tout contrat qui renoncerait à la liberté ne serait donc pas un contrat rationnel, puisqu’il nierait la nature humaine. L’homme ne peut en effet faire le choix de renoncer à ce qu’il est par essence (un être doté d’un pouvoir de choix et de détermination de ses actions), et il ne peut non plus librement choisir de se plier aux désirs de l’autre, puisqu’il une telle autorité est impossible à exercer, la vie humaine requérant sans cesse des choix et l’exercice de la volonté libre.

c

N’est-il pas clair qu’on n est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange, n’entraîne-t-elle pas la nullite de l acte? Car, quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque nous tout ce qui m appartient, et que son droit étant le mien,ce droit de moi contre moi meme est un mot qui n a aucun sens ?


L’argument est ici juridique : un contrat passé entre deux membres de droit détermine l’échange d’un service ou d’un bien en fonction de l’intérêt de chacune des parties, ce qui suppose que chacune des parties constitue une entité autonome, à même de pouvoir décider de son destin. Or, dans le cas d’un renoncement à la liberté, le contractant lui-même est entièrement l’objet du contrat, ce qui est contradictoire avec sa position de sujet du contrat, et élimine donc les conditions de possibilité du contrat.