L'analyse du professeur
La bêtise de Cunégonde contraste avec l’innocence de Candide. Dans le conte philosophique en effet, si la première est irrémédiablement bête (elle le reste tout au long du conte), le second apprend, et finit par acquérir une forme de sagesse ou de culture qui le distingue de ses compères. En ce sens, si la culture s’oppose à l’innocence, que faut-il opposer à la bêtise ?
Une telle question exige d’interroger la racine de la bêtise, d’en questionner les fondements pour en saisir la raison d’être. Il ne s’agit en effet pas simplement de savoir quels seraient les adversaires de la bêtise, puisqu’une telle réponse ne déboucherait sur une liste plus ou moins approximative de candidats. Il faut plutôt ici paradoxalement saisir la logique de la bêtise, et tenter de comprendre tant ce qui la fonde que ce qu’elle peut développer. Le problème est en ce sens celui du relief de la bêtise : comment est-il possible de lutter contre ce qui semble multiforme, et ne paraît justement pas logique ? Peut-on espérer décrire la bêtise comme un fonctionnement unifié et compréhensible, alors même qu’elle se caractérise par le déni d’intelligence, l’ignorance, voire l’absurde ?
Nous chercherons ainsi d’abord à partir du fait que la bêtise est l’état de la bête, c’est-à-dire de celui qui fonctionne comme un animal. Nous montrerons toutefois qu’il ne suffit pas d’opposer l’intelligence et la culture à la brutalité animale pour mettre fin à la bêtise spécifiquement humaine, qui n’est pas simplement une absence mais un déni, un rejet de l’intelligence. Nous en viendrons enfin à considérer qu’au-delà de ce qu’il est possible d’opposer à cette défiance d’intelligence, il faut paradoxalement considérer la bêtise dans sa logique propre, qui tient à une conviction apparente d’intelligence, et lui opposer une attitude critique inlassable, qui est le propre de la méthode rationnelle.
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Plan proposé
Partie 1 : La bêtise comme animalité.
a - La bêtise, un comportement instinctif et spontané.
Il est tout d’abord possible de définir la bêtise comme l’absence de jugement, c’est-à-dire comme le fait de se déterminer passivement et de façon réflexe, en fonction des causes déterminantes de l’environnement. Tel l’animal, le bête est celui qui ne réfléchit pas et agit immédiatement sans conscience de ce qu’il fait.
b - La bêtise, une brutalité.
Il ressort de la bêtise un forme de brutalité et d’agressivité : celui qui est bête ne prend pas en considération ce sur quoi il agit, et ne témoigne d’aucun égard pour ce qu’il touche. La bêtise est donc l’action non soucieuse et brutale, qui fait violence aux êtres et aux choses.
c - La bêtise, un despotisme du moi.
La bêtise est donc absence de jugement, de discernement, tant logique que moral. L’individu bête refuse de faire la distinction entre le monde et soi, et n’agit qu’à partir de soi-même. Il n’existe que lui et non les autres : il faut donc lui opposer réflexion, jugement et pondération morale, c’est-à-dire considération des choix impliqués par l’action libre.
Partie 2 : La bêtise comme déni de l’intelligence.
a - La bêtise comme destruction du recul.
Agir bêtement revient à cet égard à rendre impossible le jugement, à céder aux passions et ne pas se rendre capable de différer ses volontés. La bêtise est donc une habitude qui ruine les fondements de l’analyse rationnelle.
b - La bêtise comme rejet de la morale.
Outre le fait que la bêtise neutralise le rationnel, elle s’affranchit du raisonnable. Contre les conseils de la morale, elle prône une liberté et une puissance bestiales. La bêtise est donc l’affirmation d’une supériorité amorale, qui refuse l’intérêt et la pertinence de la prudence morale.
c - La bêtise au point de non retour.
Il ressort donc de cette analyse que la bêtise humaine n’est pas simplement une bestialité animale. L’homme bête a en quelque sorte conscience qu’il peut se comporter autrement, mais refuse d’adopter un fonctionnement rationnel et raisonnable. Il agit comme une brute, et sait qu’il pourrait agir autrement. Il ne suffit donc pas d’éduquer pour sortir de la bêtise : il faut également lutter contre l’égoïsme dont procède le choix d’un comportement bête.
Partie 3 : La bêtise comme certitude d’intelligence.
a - La bêtise et l’éducation.
Le bête est alors celui qui est certain de savoir comment agir, et qui privilégie sa vérité (opinion) à la vérité (science). Il est enfermé dans ses propres certitudes, et se conduit comme une brute consciemment. Il faut donc s’attaquer à la racine de la bêtise pour la combattre, c’est-à-dire aux habitudes mal acquises, à la mauvaise éducation.
b- La bêtise et les préjugés.
Repérer les erreurs de l’éducation ne suffit toutefois pas à contrer la bêtise. L’éducation n’est mauvaise que parce qu’elle repose sur des erreurs de jugement, sur des fausses certitudes ou des paralogismes. Dès lors, lutter contre la bêtise, c’est reprendre le fondement des connaissances pour tenter de les assurer. L’intelligence commence en ce sens par le refus de la bêtise, c’est-à-dire par le constat de l’ignorance, et l’effort du savoir.
c - La bêtise et l’intelligence critique.
Lutter contre la bêtise, c’est donc changer complètement d’attitude à l’égard de ses propres certitudes. L’intelligence consiste alors à être capable de se déjuger, de se critiquer, et d’être ouvert à l’amélioration, au progrès de soi.