Peut-on concilier raison et désir ?

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L'analyse du professeur


L’amour que porte Phèdre à Hippolyte est un des modèles littéraires les plus fameux de la passion destructrice. D’abord jalouse d’Aricie, elle décide de perdre Hippolyte en l’accusant d’avoir voulu la séduire. Et le jour où elle choisit d’entendre raison, et d’avouer la vérité à Thésée, elle ne voit d’autre issue que sa propre mort.
Est-ce à dire que raison et désir sont inconciliables ? La raison est le pouvoir de réflexion dont se sert l’homme pour trouver les moyens les plus appropriés de son action. Mais c’est également ce qui lui permet de prendre du recul sur les exigences immédiates de son désir. La raison met ainsi à distance ce que le désir peut exiger sur le champ, uniquement préoccupé qu’il est par la représentation de ce qui lui semble bon et indispensable. Pourtant, réciproquement le désir n’est pas le simple besoin : pensé et imaginé, il est une construction intellectuelle qui nécessite le recul de la représentation, et l’intervention d’une forme d’intelligence. Le rapport entre raison et désir est donc un rapport ambigu, puisque la raison peut être à la fois être un simple instrument qui sert rationnellement la logique irrationnelle du désir, et être un pouvoir de critique qui conduit au raisonnable et permet de freiner l’irrationalité du désir. À l’inverse, le désir semble pouvoir être à la fois une exigence irrationnelle qui occulte les raisons raisonnables, comme un pouvoir de représentation des objets souhaitables, qui aide à trouver les fins les meilleures, et les moins mauvaises. Se pose ainsi le problème de la confrontation entre les résultats du raisonnement et la force de la volonté désirante.
Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que le désir s’oppose à la raison et en triomphe parce qu’il dynamise les sentiments de l’individu et le pousse à agir sans tarder et sans réfléchir, tout en se servant du pouvoir instrumental de la raison (I). Nous nous efforcerons toutefois de dépasser cette logique du désir, en montrant que le désir ne naît pas au hasard, et procède donc toujours implicitement d’un ensemble de représentations du bon, qui sont en ce sens homogènes avec le sens du raisonnable, et donc conformes à la raison (II). Cette conformité est toutefois rapidement limitée, aussi serons-nous conduits à montrer que le désir permet de dépasser les limites de la raison, pour projeter l’individu au-delà de ses raisons et le pousser sinon objectivement vers le meilleur, tout au moins à un dépassement de soi (III).
(...)