Peut-on concilier les exigences de la justice et celles de la liberté ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Le sujet pose ici le problème de savoir dans quelle mesure justice et liberté auraient des exigences contradictoires. Si nous concevons l’homme comme libre, il apparaît que cette liberté se comprend initialement comme pouvoir de faire ce que l’on veut. Autrement dit, la liberté d’un homme consiste à pouvoir agir selon les déterminations de sa volonté, c’est-à-dire faire des choix et les réaliser. En ce sens, le principe même d’une vie en société, comprise comme vie collective d’hommes libres, semble induire nécessairement des frictions entre les différentes libertés individuelles. Dès lors, le problème principal de la société est de définir des règles de vie commune acceptées par tous. Cela signifie que tous doivent se mettre d’accord pour limiter réciproquement leurs libertés. Le principe de cette conciliation se fonde sur la façon dont chacun pense qu’il est juste de limiter sa liberté propre. À cet égard, la justice de la société (incarnée par les lois) semble résulter directement d’un exercice d’harmonisation des intérêts particuliers et des valeurs des individus.

Or, il n’est pas si évident qu’une telle conciliation puisse se faire de façon simple et non conflictuelle, ce qui conduit à penser que les risques sont grands de voir se creuser une différence entre sens individuel de la justice et définition collective de la justice au moyen des lois. Autrement dit, entre le sens moral de la justice à un niveau individuel et le sens légal de cette justice à un niveau collectif, les divergences risquent de provoquer une contradiction entre les exigences de la liberté et celle de la justice. Il est même possible, à un niveau purement individuel, de penser qu’un conflit du même type peut naître. En effet, entre le sens du devoir que je conçois en moi et le sens de mon intérêt particulier, il peut y avoir conflit, de telle sorte qu’il est possible que je choisisse librement une action que je sais pertinemment injuste.

(...)

Plan proposé

Partie 1

a

Dans un premier temps, il est possible de montrer que justice et liberté ont des exigences irréductibles. En effet, si l’on définit la liberté comme l’action qui résulte du choix individuel, cette liberté se fonde sur l’intérêt individuel et non sur un sens moral du juste.

b

Tout individu, en se concevant comme indépendant des autres, peut même chercher à instrumentaliser les autres afin de réaliser plus facilement ses projets. Il peut donc être volontairement injuste.

c

Il n’y a donc pas de critère de justice dans la liberté car la justice signifierait une restriction de sa liberté propre pour conformer son comportement à des règles morales différentes des finalités intéressées.

Partie 2

a

Néanmoins, en vivant en société, l’homme parvient vraisemblablement à comprendre qu’il ne peut réaliser son intérêt particulier qu’en apparaissant comme juste aux yeux des autres. En effet, si l’homme agit rationnellement, il comprend que si sa liberté le pousse à être injuste, il ne peut revendiquer une telle injustice parce qu’elle pousse au conflit ouvert avec les autres.

b

Il lui faut donc chercher à coopérer avec les autres et respecter des règles de justice afin d’éviter le blâme des autres. De la sorte, il peut utiliser sereinement les autres en leur faisant croire qu’il agit de façon juste.

c

Dès lors, il serait possible de concilier justice et liberté car il n’y aurait de liberté réelle que dans le cadre des règles de justice qui lui montrent que l’égoïsme ne peut se satisfaire qu’en se limitant publiquement et en acceptant de renoncer à une partie de sa liberté infinie pour voir le reste de cette liberté garantie par les lois.

Partie 3

a

Toutefois, il ne s’agit encore ici que d’une liberté négative, au sens où les exigences de la liberté et celles de la justice restent contradictoires. Or, ce stade négatif de justice ne suffit pas dans la mesure où il s’agit en fait de dire que l’on va traiter l’autre comme un moyen de notre fin propre, ce qui heurte jusqu’au sens moral de l’individu lui-même qui comprend que si tous agissent de la même manière, le lien social risque constamment de se rompre

b

. Il semble bien, à cet égard, que le sens individuel de la justice pousse chacun à rechercher plus qu’un simple pacte de non agression avec son voisin.

c

Dès lors, il paraît envisageable de penser un degré plus haut de conciliation entre les exigences de la justice et celles de la liberté puisqu’il ne peut y avoir de liberté sans que les autres hommes ne partagent les même valeurs et repères. Autrement dit, il n’y a de liberté que dans le respect de certaines lois légales et de certains principes moraux qui transforment l’homme d’animal sauvage en être raisonnable intelligent et juste.