Nietzsche - Il n'y a pas de faits en soi. Ce qui arrive est un groupe de phénomènes choisis et groupés par un être qui les interprète

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


La fameuse madeleine de Proust est restée célèbre non seulement parce qu’elle est une métonymie de la Recherche du temps perdu, mais également parce qu’elle décrit la façon dont le jeune Marcel prend pour la première fois conscience de la valeur et de la fragilité de ses souvenirs. Sans cesse en quête de son passé, et des instants éphémères et précieux de son existence, Proust manifeste d’une façon élégante la tension qui anime tout être humain comme être conscient travaillé par le passage du temps et l’érosion de l’oubli. Si le propre de l’homme est de lutter contre la disparition de ses souvenirs, et de chercher à garder dans une mémoire vivante son vécu le plus chaleureux, il semble nécessaire de reconnaître que l’homme se définit par la possession de sa conscience, et donc par une interprétation éminemment subjective des phénomènes. Néanmoins, la fragilité de cette conscience, toujours imparfaite parce que toujours condamnée à l’oubli et à la difficile construction d’une identité, paraît à l’inverse indiquer que l’homme n’atteint jamais les choses telles qu’elles sont, ne se définit jamais vraiment par sa conscience actuelle des choses, mais plutôt par une relativité extrêmes, voire un oubli du monde et une inconscience.


C’est d’une certaine manière le problème que pose la citation de Nietzsche qui nous est ici donnée affirmant qu’il « n'y a pas de faits en soi. Ce qui arrive est un groupe de phénomènes choisis et groupés par un être qui les interprète ». Quelle place occupe en effet réellement la conscience dans la vie de l’homme et face au monde ? Suffit-elle à lui donner accès à la vérité et aux choses, aux faits en eux-mêmes ? Si la conscience semble inhérente à l’homme, qui possède par nature cette faculté de réflexion sur soi, cette capacité à se savoir et à se comprendre, ne faut-il pas refuser de voir cette puissance de réflexion comme une essence, dans la mesure où les obstacles que rencontre la conscience en se construisant semblent à l’inverse condamner l’homme à ne jamais ni se saisir pleinement ni saisir les « faits en soi » ? Se pose ici le problème de savoir ce qui échappe à la conscience, c’est-à-dire de savoir dans quelle mesure la conscience a les moyens d’appréhender l’homme sans pour autant en réduire la signification à une pure abstraction de pensée.


Nous chercherons tout d’abord à montrer que la conscience est le moyen par lequel l’homme se définit, c’est-à-dire qu’elle est la faculté par laquelle l’homme parvient à trouver le sens de son existence, à se définir comme un sujet qui, par l’évidence de son interprétation accède au monde en déterminant des faits (I). Nous montrerons toutefois que cette faculté n’est pas pour ce qui définit absolument l’homme, puisque la définition qu’il construit au moyen de la conscience ne résume pas l’être de l’homme à son être conscient (II). Dès lors, nous en viendrons à reconnaître les limites de la conscience, c’est-à-dire à montrer que la conscience, faute de parvenir à réellement appréhender l’homme et les faits objectivement, n’est en fait qu’une illusion commode qui détourne l’homme de ce qu’il est réellement (III).

(...)