Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain, livre II, chap. XXI, par 31

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L'analyse du professeur


La séparation cartésienne entre l’âme et le corps est souvent présentée comme une faiblesse systématique de l’édifice cartésien, engageant symboliquement le développement de la philosophique théorique comme métaphysique et comme phénoménologie, et de la philosophie pratique comme recherche difficile pour le sujet agissant des critères de la morale comme de la politique. Dans le texte qui est ici soumis à notre étude, Leibniz, parfois considéré comme un des plus fidèles disciples de Descartes, abord le problème de la morale, et pose le problème du paradoxe interne à toute tentative de fonder la morale sur une métaphysique. Comment en effet est-il possible d’espérer bien agir, si les critères de l’action ici-bas sont fondés sur un au-delà, ou tout au moins sur des principes qui ne sont pas inspirés de la pratique, et paraissent parfois même l’ignorer ou mal la connaître. La logique du devoir moral, ou de la vertu ici définie, semble ainsi dépendre de la capacité à montrer que le bien et le mal ne peuvent être satisfaisants qu’à la condition d’échapper aux hésitations de la pratique et de la connaissance sensible. Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que Leibniz défend le pouvoir de vérité inhérent à une recherche métaphysique des critères de la morale. Nous en viendrons alors à saisir pour quelle raison le raisonnement moral est supérieur à la sensibilité morale, et doit fonder la conception véritable de la vertu.

[...]

Plan proposé

Partie 1 : Morale et métaphysique.

a - 1-4

Le raisonnement présuppose ici un développement précédent, laissant entendre que la démonstration antérieurement construite pourrait conduire à des conséquences morales fâcheuses, en l’occurrence consistant à effacer les repères traditionnels de la morale déterminant le sens pratique du bien et du mal. Il faut donc supposer que l’analyse précédente met en péril le rapport entre le jugement moral et la volonté, péril par lequel la volonté ne se trouve plus éclairée par la connaissance du bien, et ne peut non plus s’habituer à sentir le mal auquel elle risque toujours d’être confrontée dans l’exercice de son pouvoir.

b4-8.

Rejetant cette conséquence, Leibniz tente ainsi de montrer que la difficulté à identifier authentiquement le bien et le mal, à en penser la logique, vient du fait que la considération morale est souvent sollicitée à partir des problèmes pratiques. Là encore, le texte signifie implicitement que la connaissance du vrai bien est intellectuelle, et n’est pas facile à atteindre parce qu’elle n’est pas habituelle, et à la portée de l’expérience de chacun dans son quotidien. À l’inverse, tout ce qui a un rapport avec le monde sensible, le corps, semble aisé et proche, et les pensées qui s’y attachent sont familières, au point qu’elles semblent plus éclairées que les pensées aveugles dans lesquels les sens n’agissent guère (ce qui classe de fait ces pensées dans un domaine méaphysique).

c9-14.

Les pensées sourdes, qui ne dépendent donc pas de la sensibilité (perception active = construction d’une intelligibilité du réel / ou sentiment = sensibilité purement émotionnelle et passive), sont ainsi comparables à des abstractions mathématiques, qui ne se résument pas à être des réductions logiques de la réalité (les nombres et les figures auraient alors pour seule fonction de renvoyer aux objets réels), mais sont des êtres entiers et en un sens parfaits, puisqu’ils désignent , comme mots, les structures fondamentales de ce qui est pensé, sans le contenu contingent ou incertain lié au devenir sensible. Leibniz présuppose ici que le réel est structuré logiquement, et ainsi qu’une « grammaire logique » (déterminant la pertinence des mots) est le fondement de la connaissance vraie du réel.

Partie 2 : De la supériorité de la pensée sur la sensibilité morale.

a - 14-17.

Leibniz cherche à prouver indirectement sa thèse de l’autonomie métaphysique des critères moraux (ils ne dépendent pas de l’analyse empirique), en s’appuyant sur l’autonomie de la pensée, qui est en mesure par elle-même de s’affranchir des représentations sensibles de ses objets de raisonnements (qui sont concepts, idées, notions etc.), au point de ne pas en posséder une intuition sensible ou un ressenti émotionnel.

b - 17-22.

Cependant, son exemple possède un deuxième enseignement : il ne montre pas seulement la capacité de s’affranchir par la pensée des doutes sensibles, mais il montre également l’ambivalence de ce processus qui peut tout aussi bien devenir dangereux, puisque le simple usage des mots ne peut suffire à en maîtriser la logique. Cette mise en garde sous-jacente n’est du reste pas inutile, dans la mesure où le raisonnement du sens commun, en n’approfondissant pas ce qui fonde le sens des idées et des valeurs, prétend prononcer la vérité du réel, ou tout au moins son sens moral, alors qu’un tel sens dépend d’un travail scientifique et non d’une doxa.

c - 22-27.

L’action qui n’est pas morale n’est en ce sens pas souvent une action positivement immorale, dans la mesure où elle procède d’une erreur de jugement, ou d’un jugement qui n’est pas assez approfondi. Nous nous guidons donc à tâtons ou par défaut, en déterminant le bien et le mal en fonction de la mémoire partielle que nous avons de nos actes, des bribes de connaissances que nous possédons, et de l’intuition que nous pouvons avoir face à notre ignorance. C’est donc une sensibilité morale que nous guide, et non une véritable et authentique connaissance indubitable.