Le regard

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L'analyse du professeur


Dorian Gray ne pouvait supporter de porter son regard sur l’objet de ses forfaitures, en l’occurrence matérialisé par le tableau le représentant. Pourtant, et paradoxalement, il ne pouvait s’empêcher d’aller contempler les effets de sa bassesse morale, et la fascination qu’exerçait sur lui ce jeu de voyeur contribuait certainement à l’entraîner sur la pente du crime. C’est dire l’importance paradoxale du regard, qui ne semble pas limiter son acuité à la surface du visible, mais paraît également posséder le pouvoir de rendre visible. Le regard semble ainsi participer d’un mystère, puisqu’il paraît désigner une capacité à percevoir ne se résumant jamais vraiment à la saisie grossière d’une apparence extérieure. Ce mystère du regard est d’ailleurs renforcé par le fait que la vue est pour l’homme un sens crucial qui, comme le montrait déjà Aristote dans le De l’âme, permet d’unifier l’apport des différents sens, et de donner à l’homme une représentation intelligente de son environnement. Le regard est donc à la fois une capacité à voir, et une puissance de représentation, dont la force permet d’évaluer la compréhension de l’homme, son jugement et son intelligence. Pourtant, le regard reste fragile : il n’est qu’une perception, et un regard ne rend souvent que peu justice à la vérité de ce qui est. Le regard déçoit autant qu’il ment, et s’y fier peut être dangereux autant qu’insuffisant. Le regard ne serait-il pas alors la marque de la misère de l’homme, être fini condamné à ne percevoir qu’un sens limité des choses, et à ne se situer que dans un environnement limité ? Nous chercherons d’abord à montrer que le regard est porteur d’un système de repères essentiel pour l’homme (I). Nous en viendrons toutefois à constater que ce système est limité et problématique, et provoque souvent des erreurs dommageables (II). Ces reproches ne se fondent toutefois que sur une attente trompeuse, exigeant du regard plus qu’il n’est en mesure de fournir, en délaissant d’ailleurs une bonne partie de ce qu’il peut apporter (III)

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Plan proposé

Partie 1

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Le regard désigne la capacité humaine à posséder une représentation visuelle : il ne s’agit donc pas simplement de la réception passive d’informations visuelle, mais du mouvement selon lequel l’homme se construit une représentation de la réalité qui l’entoure.

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Cette représentation le rend donc tributaire du regard, c’est-à-dire que ce n’est qu’à la condition de posséder un regard (une représentation unifiée) que l’homme a accès à un monde. Le regard est donc une question d’identité, puisque ce n’est qu’en posant un regard que l’homme s’oriente et se définit.

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Le regard est d’ailleurs toujours réciproque, c’est-à-dire qu’il ne désigne pas seulement une capacité à percevoir, mais détermine des attentes, comme en témoigne l’importance que revêt toujours le regard de l’autre. Le regard fait donc de l’homme un être sympathique, c’est-à-dire un être sociable.

Partie 2

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Le regard reste toutefois constamment confronté à ses propres limites. Il s’agit tout d’abord de limites internes : la capacité à porter un regard est constamment limitée par les capacités sensorielles ou intellectuelles. Le regard est toujours limité et déficient.

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En outre, ces limites internes du regard obligent l’homme à vivre dans l’incertitude constante de l’interprétation : l’échange des regards témoignent de telles incertitudes, et de ce qu’elles peuvent avoir de déstabilisant, pour celui qui cherche à s’orienter et à se connaître.

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Enfin, le poids regard l’instaure bien souvent en instance inquisitrice : dans une société du paraître, le regard légitime ou dévalorise, à tel point qu’il ment et trompe sur l’être des personnes et des choses.

Partie 3

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Cette mise en cause du regard est toutefois certainement indue. Le regard n’a en effet pas peut-être pour ambition d’être vrai : il voit, mais ne donne pas nécessairement à juger.

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Si le regard ne doit donc pas être surestimé dans son pouvoir de vérité, il doit en revanche être salué dans son pouvoir esthétique et suggestif : le regard est une fenêtre ouverte sur un monde changeant, riche et séduisant.

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Cette force esthétique du regard se double d’ailleurs d’une force éthique : le regard est la condition d’une sociabilité et d’une ouverture : avoir les yeux ouvert sur son monde, être sensible au regard de l’autre, sont autant de conditions de publicité de soi.