Le corps est-il sujet ou objet de ma conscience ?

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L'analyse du professeur


Dans Les cinq sens, Michel Serres met en évidence le fait que la conscience du corps est problématique : il montre par exemple que lorsque je touche mon propre corps, j’ai une perception paradoxale du lien entre les deux parties qui se touchent puisque je ne suis pas capable de repérer précisément la frontière entre la partie qui touche et celle qui est touchée. La conscience se perd au moment où les sensations se recouvrent, et les informations transmises semble indiquer que le corps est à la fois l’objet de la conscience, puisque c’est lui qui devient conscient, et le sujet de la conscience, puisque c’est en fonction de lui que se trouve déterminée la conscience.

C’est en quelque sorte la question posée par le sujet : « le corps est-il sujet ou objet de ma conscience ». D’apparence paradoxale, la forme de ce sujet invite en réalité à questionner le lien, et éventuellement le rapport de subordination entre conscience et corps. Ce questionnement est loin d’être anodin dans la mesure où les deux types de rapports peuvent se justifier. Le corps apparaît à l’évidence comme un objet de la conscience, dans la mesure où tout individu prend conscience de lui-même en s’associant un corps comme mode d’être objectif, ou en tout cas comme une chose qui lui appartient et qui le distingue des autres choses. Néanmoins, et à l’inverse, le corps peut être également le sujet de la conscience, puisqu’en prenant conscience de soi, un individu en vient nécessairement à penser qu’il appartient à ce corps : celui qui possède une conscience est en effet celui qui pense parce qu’il vit grâce à ce corps, qui peut penser parce que la pensée semble se développer au moyen de cellules, d’un cerveau, d’un ensemble de propriétés physiologiques. Il y a donc à la fois une hétérogénéité première entre corps et conscience, puisque celui qui pense a bien conscience que sa pensée lui apparaît d’une nature différente de celle du corps, et un lien ou une homogénéité, puisqu’un corps n’existe que dans une représentation de la conscience et, réciproquement, que la conscience ne peut exister sans un corps qui lui donne existence. Ce paradoxe du lien et de la subordination réciproque est-il en ce sens ultimement décidable ? L’enjeu de ce sujet dépasse en ce sens la simple définition du corps comme ensemble d’organes ou de la conscience comme réflexion produisant une connaissance ou un jugement de vérité et de valeur : il interroge ce qui fonde la métaphysique, l’interrogation sur l’être de l’homme, et engage ultimement la définition de l’essence humaine.


Nous chercherons en ce sens à montrer que l’évidence première que cherche à définir une approche métaphysique du sujet conscient est que le corps est un objet associé à l’esprit. Nous en viendrons toutefois à montrer que cette évidence métaphysique et abstraite se heurte à la formation des idées de la conscience, au point qu’il semble nécessaire d’inverser le rapport de subordination entre corps et conscience, pour affirmer que le véritable sujet est corporel. Ce dépassement ou cet excès du corps par rapport à la conscience paraît même conduire à affirmer plus radicalement que le corps n’est pas simplement le sujet de la conscience, mais un fondement inatteignable de la conscience.

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