Le Dieu de Kant est-il si différent du Dieu de la métaphysique traditionnelle ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Dans La religion dans les limites de la simple raison, Kant défend une conception du Dieu qui semble entrer en contradiction avec une conception plus orthodoxe du divin, par exemple développée par les plus célèbres théologiens comme Augustin. Il ne se contente pas, en effet, de penser que la conception de Dieu et des commandements divins peut faire l’objet d’une analyse rationnelle, mais il montre plus profondément que Dieu ne peut faire l’objet d’un savoir vérifiable, et que toute forme de déduction de l’agir moral à partir de l’idée de Dieu est un pari vain et faux. Il semble, à cet égard, que le Dieu kantien ne peut être un Dieu classique ou traditionnel, dans la mesure où l’expérience de la foi paraît discréditée au profit d’une expérience rationnelle de la morale et des exigences pratiques. Toutefois, le fait d’avouer que la raison est impuissante à rationaliser le divin ne semble pas nécessairement impliquer de discrédit nécessaire de la foi. Tout au contraire, il apparaît que foi et raison peuvent se jouxter sans s’exclure, ou sans même se hiérarchiser. Autrement dit, le Dieu de Kant ne serait différent du Dieu de la métaphysique traditionnelle qu’à la condition de concevoir un primat de la méthode rationnelle et de son pouvoir exclusif de vérité sur les choses. Le problème sera donc de savoir dans quelle mesure un tel primat est ou non reconnu par Kant. Nous nous atttacherons à montrer dans un premier temps que le Dieu de Kant diffère profondément du Dieu traditionnel, puisqu’il n’est plus un Dieu de croyance, mais un paralogisme de la raison qui a besoin de postuler son existence pour donner un sens à sa croyance. Nous montrerons en ce sens, que cette différence d’essence du Dieu implique une différence d’existence, puisque l’omniprésence du Dieu dans le cours naturel des choses devient alors un retrait du Dieu, qui ne peut exister qu’à la mesure du règne des fins posées de façon autonome par les hommes. L’articulation de ces deux perspectives est cependant problématique, dans la mesure où le Dieu ainsi rationalisé par Kant n’exclut pas la présence d’un Dieu de l’intime, qui n’est autre que le Dieu traditionnel. Nous en viendrons ainsi à conclure notre raisonnement sur le constat selon lequel le Dieu de Kant est bien un Dieu traditionnel, puisque sa réalisation hypothétique n’a de sens qu’en fonction d’un agir moral de l’homme que la raison ne suffit pas à motiver.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

Le Dieu de Kant est d’abord une idée. Kant cherche en effet à montrer à quelles conditions il serait possible de concevoir Dieu. La première différence est donc que ce Dieu n’est pas l’objet immédiat d’une croyance.

b

Sur le fond, la deuxième différence tient au fait que Kant montre qu’il est impossible d’avoir une conviction sur la nature de Dieu, c’est-à-dire que le Dieu de Kant est une abstraction dont il est impossible de faire l’expérience (ce que Kant appelle un paralogisme, c’est-à-dire une déduction logique de ce qu’il est possible de supposer comme cause de la création des choses).

c

La conséquence des deux différences précédentes est que le Dieu de Kant est un produit d’une intelligence logique des choses, et non une certitude moraleĀ : il est donc impossible de concevoir le Dieu comme une vérité ontologique et morale.

Partie 2

a

Sur le plan pratique, le Dieu de Kant dépend donc moins d’une vérité révélée, qui serait inscrite dans la Bible ou un quelconque texte sacré. Il dépend plutôt de la raison pratique, c’est-à-dire d’une forme de devoir qui appartient à l’intelligence de l’homme et non à une règle qui s’imposerait à elle.

b

La providence divine ne peut donc être déduite de la vérité première de Dieu, et il s’agit plutôt de construire une compréhension des règles morales, que de suivre les rites et pratiques prescrites par les responsables religieux.

c

Enfin, la puissance du Dieu dépend de la puissance morale des hommes, c’est-à-dire que les hommes ne sont pas soumis à un Dieu qui les jugeraient, mais les hommes produisent l’avènement de Dieu en respectant le règne des fins (c’est-à-dire en s’accordant sur les règles morales à suivre).

Partie 3

a

Néanmoins, le fait que le Dieu kantien soit conçu rationnellement n’empêche pas que les règles rationnelles soient conformes aux règles des textes sacrés. Le Dieu kantien est donc un Dieu conforme au Dieu des religions.

b

Plus profondément même, il apparaît que la croyance irrationnelle contribue à la force morale de la raison, et que la foi est l’auxiliaire de la raison morale. En d’autres termes, la raison morale de l’homme se retrouve comme croyance morale en Dieu.

c

La figure du Dieu traditionnelle est donc une forme différente de la figure kantienne, mais cette différence est moins une opposition qu’une construction réciproque, c’est-à-dire que la foi conduit à affirmer ce que la raison découvre.