L’objectivité implique-t-elle la neutralité ?

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L'analyse du professeur


L’allégorie de la justice représente une femme avec les yeux bandés, un glaive à la main. Le fait qu’elle ait les yeux bandés témoigne de son objectivité : elle ne regarde pas l’habit ou l’aspect de la personne qu’elle juge. Elle ne juge qu’en fonction de ses actes et se veut impartiale. Mais elle porte également un glaive : elle peut tuer, ou sanctionner. Elle fera s’abattre la sentence sur celui qui a commis un crime. Elle n’est donc pas neutre puisqu’elle finira pour prendre parti pour ou contre celui qui est jugé. Cette représentation de la justice interroge donc la notion de neutralité. Qu’appelle-t-on neutralité ? L’objectivité implique-t-elle la neutralité ? Si nous considérons que l’objectivité est la capacité à forger son jugement sans s’impliquer personnellement et subjectivement (traiter une chose comme un objet extérieur à soi), il semble nécessaire de reconnaître que celui qui juge est neutre, puisqu’il ne prend pas parti a priori pour ou contre. Mais sa décision a pourtant l’effet d’une prise de parti : elle délimite l’espace du juste et de l’injuste. Il y a donc une forme de paradoxe dans l’objectivité qui, tout en restant extérieur à l’objet du jugement, ne permet pas de rester pleinement neutre vis-à-vis de cet objet.

Nous chercherons tout d’abord à montrer que l’objectivité implique par principe la neutralité puisqu’il s’agit justement de s’extraire de toute partialité pour juger ce qui est sans s’appuyer sur des préjugés. Néanmoins, nous nous attacherons à saisir qu’il s’agit d’une théorie idéal du jugement qui rencontre ses limites dans le fait que nous ne pouvons jamais pleinement faire abstraction de ce que nous sommes : l’objectivité se trouve alors ramenée à un effort de relativité qui n’est jamais neutre. Cependant, nous nous efforcerons de comprendre que l’exercice de relativité, s’il n’est jamais neutre en tant que tel, permet de viser une neutralité puisque le jugement qui en découle se justifie rationnellement, indépendamment des valeurs de l’individu qui juge.
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