L’interprétation est-elle nécessaire à l’homme ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


La notion d’interprétation paraît désigner une opération uniquement utile lorsque l’esprit n’est pas en mesure de comprendre. Il faudrait donc interpréter pour accéder au sens, pour comprendre ce qui est dit. Cependant, il semble que tout homme possède des facultés de compréhension qui dépendent de la façon dont il a formé son esprit, de son intelligence et de son instruction. Ainsi, nous ne comprenons pas tous forcément la même chose devant des situations identiques, alors même que nous pensons individuellement comprendre correctement ce dont il s’agit. La notion d’interprétation devient donc plus complexe, puisque son utilité semble à géométrie variable, c’est-à-dire qu’elle ne dépend pas seulement du fait de ne pas comprendre du tout. Autrement dit, la nécessité de l’interprétation pour l’homme conduit à prendre conscience du paradoxe selon lequel même lorsque nous pensons comprendre les situations dans lesquelles nous sommes, nous sommes peut-être loin de tout comprendre. La question de la nécessité de l’interprétation pose donc fondamentalement la question des degrés de compréhension auxquels peut accéder l’homme, c’est-à-dire la question de la nature du langage et de son rapport avec la pensée. Faut-il voir le langage comme le seul moyen de la compréhension, auquel cas ce langage, en tant qu’il porte nécessairement sur des mots qui peuvent désigner plusieurs choses à la fois (ce qui est également le cas de beaucoup de noms propres), condamne l’homme à être toujours dans une logique interprétative ? Ne peut-on au contraire montrer que l’homme accède aussi au sens en fonction d’un contexte de pensée, qui inclut au-delà du langage les conditions matérielles et spirituelles de l’acte de signification, ce qui permettrait alors de penser que l’interprétation n’est pas une nécessité, puisque le sens serait immédiatement accessible à partir de son contexte ?

(...)

Plan proposé

Partie 1

a

L’interprétation apparaît à l’évidence nécessaire uniquement dans la mesure où l’homme ne comprend pas la signification d’une situation dans laquelle il se trouve et doit sortir de lui-même pour inter-préter, c’est-à-dire se place entre lui-même et ce qu’il cherche à comprendre. Cette interprétation dépend de la maîtrise de codes de signification (les mots ou les gestes par exemple).

b

Par ailleurs, ces codes sont eux-mêmes valables pour des situations diverses et doivent être adaptés à des contextes particuliers.

c

Enfin, le fait que l’acte de signification confronte une réalité signifiante à une personne qui cherche à la décoder, oblige bien souvent celui qui doit à comprendre à renouveler ses critères de compréhension, c’est-à-dire à interpréter la situation en développant un sens inédit.

Partie 2

a

Toutefois, le sens qu’un homme pense comprendre par lui-même dépend en fait d’une interprétation dont il maîtrise en dernier ressort les tenants et les aboutissants. En ce sens, chacun est juge de la cohérence de la signification qu’il trouve satisfaisante ou suffisante, à partir de ses propres critères de signification et de sa propre exigence.

b

Ces critères dépendent ainsi des propriétés de son esprit particulier, c’est-à-dire ne sont pas des critères qu’il invente à chaque fois mais des critères qu’il possède et corrige de façon autonome.

c

Dès lors, si l’interprétation semble nécessaire quoi qu’il arrive et dès que l’homme cherche à penser quelque chose, ce n’est pas une interprétation qui fait sortir l’homme de lui-même pour le placer dans une situation inter-médiaire (entre lui-même et le monde), mais c’est un acte qui le pousse seulement à corriger sa cohérence interne.

Partie 3

Néanmoins, cette toute puissance de l’interprétation peut apparaître comme illusoire. En effet, si l’interprétation est théoriquement nécessaire pour saisir le sens dernier des choses et donner accès à une grille d’intelligibilité de toute chose, même à partir de critère individuels, elle n’est vraisemblablement pas nécessaire en pratique puisqu’elle paralyse la décision et empêche l’action.

b

La nécessité de l’interprétation dépend donc du contexte de ce qui est à comprendre et de l’urgence de la situation vécue, qui ne donne pas toujours le temps de s’appliquer à bien comprendre.

c

Dès lors, il semble nécessaire de dissocier l’interprétation des choses de leur intuition immédiate, quand bien même cette dernière serait défectueuse. En effet, l’interprétation enferme souvent dans un débat stérile sur le sens, alors que la compréhension dépend aussi d’une pratique de ce que l’homme cherche à analyser, l’expérience se substituant alors à la connaissance théorique.