L'art est il une évasion ?

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L'analyse du professeur


Si les oiseaux venus picorer les raisins de Zeuxis avaient été doués de pensée, ils auraient immédiatement protesté contre l’illusion du maître grec si talentueux qu’il avait réussi à peindre des raisins aussi ressemblant que les vrais. Même confrontés à la rugosité de la toile, les oiseaux ne se sont pourtant pas immédiatement arrêtés. Il semble, en effet, que la rivalité entre les raisins peints et les raisins réels est particulièrement complexe : peut-on dire que la peinture n’a aucune réalité ? Pourquoi les oiseaux ont-ils continué à picorer la toile, au point de la déchiqueter ? En un sens, les oiseaux ont été emprisonnés dans l’illusion de l’artiste. Mais est-ce que cela aurait été le cas de l’homme ? Les contemporains de Zeuxis se sont plutôt extasiés devant l’art, ils se sont évadés de la réalité qu’avait réussi à tromper Zeuxis.

En ce sens, la question « l’art est-il une évasion ?» semble acquérir toute sa pertinence. Si l’art, comme mise en œuvre à finalité esthétique de l’idée d’un artiste dans l’espace d’un tableau a bien une existence matérielle (par cet objet qu’est l’œuvre), il semble que l’art entretient un rapport complexe à la réalité. D’une part, il semble enfermé dans la reproduction de la réalité et ne pas pouvoir produire autre chose qu’un emprisonnement dans la réalité. Mais d’autre part, parce qu’il concurrence la réalité, il paraît pouvoir s’en jouer et permettre une forme d’évasion, parce qu’il simule la réalité et acquiert une existence propre. Le problème que nous devrons affronter sera celui de savoir dans quelle mesure dépasser ce paradoxe selon lequel l’art a bien d’une part une existence propre en tant qu’œuvre matérielle reproduisant la réalité, mais d’autre part semble ne pas vraiment exister puisqu’il trompe sur son identité et ment sur la réalité.

Nous chercherons tout d’abord à montrer que l’art procède d’une reproduction de la réalité et ne peut s’en évader et évader celui qui le contemple. Nous montrerons toutefois dans un second temps que l’illusion que produit l’œuvre d’art détourne la réalité et permet l’évasion.

(...)

Plan proposé

Partie 1 : L’art ne peut s’évader de la réalité.



a) L’art regarde le réel.


L’art procède d’un regard sur la réalité. Il imite cette réalité. En ce sens l’œuvre d’art est une reproduction, une re-présentation de la réalité qui est d’abord fonction du regard que l’artiste porte sur la réalité. L’artiste se définit ainsi selon Platon, dans la République, comme un imitateur qui ne doit pas s’évader, s’affranchir des codes de la réalité, sans quoi n’a pas de sens.



b) L’art est une technique d’imitation.


Lorsque l’artiste veut réaliser une œuvre, il doit se soucier de l’apparence de ce réel. Il ne peut donc s’en évader techniquement, puisque les règles de la représentation sont justement les règles de la nature. Ainsi, Piero della Francesca, dans son Traité de la perspective, codifie la perspective en s’inspirant de modèles mathématiques à l’œuvre dans les sciences.



c) L’art doit convaincre et non illusionner.


L’attente du spectateur est ainsi celle de la reconnaissance : il cherche à savoir ce qui est représenté, c’est-à-dire à comprendre en fonction de ce qu’il sait déjà. Si l’œuvre s’évade de la réalité, elle n’est donc interprétée que comme un mensonge dommageable et illusionniste, ce que ne manque d’ailleurs par de dénoncer Hegel, dans son Esthétique, en montrant que l’œuvre d’art est un jeu perdant la rationalité dans un jeu sans fin.



Partie 2 : L’évasion esthétique.



a) La subjectivité du regard de l’artiste.


Toutefois, dans la mesure où une œuvre d’art procède de l’interprétation d’un artiste, il faut peut-être considérer que d’autres critères permettent de juger de la production d’une œuvre, comme des critères esthétiques. La subjectivité de l’artiste, à laquelle Kierkegaard rend hommage dans La répétition, doit être considérée comme une façon de mettre en lumière la subjectivité de toute appréhension de la réalité.



b) L’autonomie de l’œuvre.


Dès lors, il faut considérer qu’une œuvre d’art est une invitation au voyage, au sens où Baudelaire l’a exprimé dans le poème qui porte ce titre, puisqu’il s’agit de montrer que l’œuvre d’art possède une liberté de signification qui dépend de facteurs extérieurs n’appartenant pas à l’artiste et ne pouvant être contrôlés par lui. Autrement dit, le contexte social, moral, politique ou culturel en un sens général sont autant de circonstances extérieures selon lesquelles l’œuvre d’art est émancipée de la réalité qu’elle reproduit ou de laquelle elle s’inspire, et même de l’artiste qui la produit.



c) L’infinité des interprétations.



L’œuvre d’art n’est ainsi qu’un messager qui transcende ses conditions de production, et le fait qu’elle puise revêtir des interprétations différentes nous montre en réalité qu’elle ne dépend pas elle-même d’un contexte en particulier. Le véritable sens de l’œuvre d’art est la richesse de l’imaginaire humain et la diversité de la sensibilité qui porte cet imaginaire. Comme le montre à cet égard Merleau-Ponty, dans L’œil et l’esprit, nous devons considérer l’art comme la mise en œuvre d’interprétations particulières qui nous enseignent la relativité des choses et nous apprennent qu’aucune interprétation n’est scellée et définitive.