L’Etat doit-il reconnaitre des limites à sa puissance ?

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L'analyse du professeur


1984 reste encore aujourd’hui une référence incontournable parmi les modèles littéraires de dénonciation du totalitarisme. Présentant la fiction d’un État omniprésent et omnipotent, il met au jour les risques d’une puissance totale qui serait accordée ou que s’arrogerait le pouvoir politique. Pourtant cet État se veut bienveillant, et beaucoup d’aspects des politiques publiques des démocraties contemporaines, telles la télésurveillance ou la volonté protéger les citoyens contre les futurs actes de ceux qui ne répondent pas à des normes psychiques (les « fous »), sont souvent rapprochés des mesures de « Big brother ». Est-ce à dire que la tendance naturelle de l’État, même démocratique, serait d’accroître sans cesse sa puissance et de ne pas pouvoir par nature la limiter ?

Se pose ici la question de savoir si l’État doit reconnaître des limites à sa puissance. Cette question se comprend à partir d’une simple définition des termes du sujet. L’État est en effet littéralement ce qui est stable, ce qui donne sa stabilité à la société, c’est-à-dire qu’il a pour but de réguler le jeu des libertés individuelles de telle sorte qu’il rende possible la coexistence des hommes sur un même territoire. Comme structure, l’État semble donc rendre possible la coexistence des hommes, et donc ne pas avoir pour essence de se limiter, puisque cette structure rend possible, dans ses moindres détails, la coexistence. À l’inverse, l’État est un moyen, c’est-à-dire qu’il n’existe qu’en fonction de ce que sont les libertés individuelles, et les possibilités de coexistence sociale. Il paraît alors possible de voir l’État comme une structure qui se limite, ou qui doit se limiter, pour ne réguler que ce qui est problématique dans la coexistence des individus. D’un aspect à l’autre de ces évidences se pose alors le problème de savoir si la coexistence des libertés individuelles peut exister hors de l’État, ou si cette coexistence est fondamentalement impossible sans que préexiste une structure.

Nous chercherons tout d’abord à montrer que l’État n’a pas vocation à limiter sa puissance, puisqu’il relève d’une nécessité naturelle, au sens où les individus ne possèdent pas d’abord une liberté homogène aux exigences réciproques de libertés des autres individus qui coexistent avec eux sur un même territoire (I). Cette perception de l’État nous apparaîtra néanmoins comme éminemment problématique, dans la mesure où l’État s’arroge ainsi un pouvoir nuisant rapidement à l’existence de libertés qui ne sont pas en elles-mêmes négatrices d’autres libertés (II). Cette remarque nous conduira alors à montrer que l’État ne doit limiter sa puissance qu’à la condition qu’il repose sur une souveraineté populaire, seule garante du fait que le pouvoir de l’État est exactement celui des individus associés (III).
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