KANT, Réflexions sur l'éducation

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L'analyse du professeur


Lorsque Fichte rédige La destination de l’homme, il rend d’une certaine manière hommage à son maître Kant, dont il se juge alors l’héritier, c’est-à-dire avec lequel il partage l’espoir d’une humanité désormais tournée vers les Lumières. Pourtant, nombre de penseurs de la même époque déploreront en même temps la culture de tels idéaux, en considérant notamment qu’ils sont inadaptés aux hommes tels qu’ils sont, et que les hommes éclairés ne font ici que développer un idéal louable en soi et en théorie, mais dangereux pour le temps présent et en pratique. Constant ou Tocqueville se montreront ainsi inquiets face aux bouleversements induits par la Révolution Française, et chercheront à montrer que les idéaux des Lumières ont été radicalisés et caricaturés au point d’oublier à quel point l’homme dépend d’un contexte et d’une histoire, et ne peut simplement se penser en référence à un idéal ou à une destination.
C’est en quelque sorte le problème sous-jacent à ce texte, issu des Réflexions sur l’éducation de Kant, puisque Kant se pose la question des fins de l’éducation de l’homme, et défend l’idée qu’il faut former l’homme à son devoir et à sa perfection, et non chercher à l’adapter au monde tel qu’il est. Pourtant, cette thèse, malgré son optimisme, peut susciter quelques réserves, et notamment celle de savoir si le refus du monde tel qu’il est, et la défense d’un absolu, ne fragilise pas réciproquement la situation présente, au point de rendre l’homme inactuel ou inadapté à ses préoccupations.
Nous chercherons ainsi tout d’abord à comprendre quelle est la définition de l’éducation et sur quel principe elle repose aux yeux de Kant. Nous nous efforcerons ensuite de montrer que cette conception de l’éducation est une façon de rejeter l’idéal éducatif d’adaptation au monde tel qu’il est. Nous en viendrons néanmoins enfin à nuancer l’inactualité apparente de l’idéal éducatif kantien, en comprenant qu’elle enjoint à un cosmopolitisme, qui est une façon d’obliger tous les individus à s’entendre et à partager une conception du bien.

(...)

Plan proposé

Partie 1 : Le principe de l’éducation par le devoir.

a - L’opposition entre l’état présent et l’état futur : une éducation dynamique.


Voici un principe de l'art de l'éducation que particulièrement les hommes qui font des plans d'éducation devraient avoir sous les yeux : on ne doit pas éduquer les enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine, mais d'après son état futur possible et meilleur,
Kant analyse ici les finalités des plans d’éducation, c’est-à-dire quels sont les buts des éducateurs lorsqu’ils conçoivent une politique scolaire. En assimilant l’éducation à un art, il sous-entend qu’il ne s’agit pas d’une science, c’est-à-dire qu’elle ne repose pas sur des faits vérifiables, mais porte sur un matière humaine libre (que je ne peux considérer à la manière des choses physiques puisqu’il n’est pas purement déterminé par les lois de la nature), ce qui suppose donc de faire appel à un talent d’éducation, à une forme de génie, de raisonnement, ou de conception exceptionnelle. Selon Kant, le devoir de l’éducateur est de former pour un état futur, c’est-à-dire de préparer l’homme à la vie qu’il aura à vivre, et non à celle par laquelle il est déterminé. L’idée est ici d’inclure dans l’éducation un idéal moral, considérant ainsi que l’homme doit faire face à son devenir (parce qu’il est libre).

b - La destination de l’homme à l’humanité.


c'est à dire conformément à l'idée de l'humanité et à sa destination totale. Ce principe est de grande importance.
Précisant ici l’idéal d’éducation, Kant montre que l’homme ne peut se développer qu’en fonction d’une nature propre, qui est celle de la perfectibilité. Si l’homme n’est en effet pas fait comme une pierre, c’est parce qu’il peut s’améliorer, faire un bon usage de sa liberté pour devenir meilleur. L’idée d’humanité signifie donc à la fois que la nature humaine est différente de la nature physique, et que cette humanité est conforme à un principe moral, à un devoir que l’homme réalise, ce qu’il faut alors identifier à une destination.

c - L’éducation habituelle comme adaptation à l’être.


Ordinairement les parents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il.
Kant distingue sa définition de l’éducation de la pratique habituelle de l’éducation, qui est interprétée en général comme un impératif ponctuel et situé : celui d’adapter les hommes au temps et au monde présent. Cette exigence d’éducation n’a en soi rien de surprenant, puisque le réflexe le plus simple et naturel serait justement de fournir à ses enfants les moyens d’éviter les dangers les plus immédiats. Néanmoins, comme le souligne l’idée de corruption, le problème d’une telle éducation est qu’elle va enseigner à l’homme les maux qu’il doit éviter, et donc le familiariser à de tels maux (donc corrompre sa pureté morale).

Partie 2 : La corruption de l’éducation

a - Le souci parental trompeur de la réussite.


Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu'un meilleur état pût en sortir dans l'avenir. Toutefois deux obstacles se présentent ici : 1. ordinairement les parents ne se soucient que d'une chose : que leurs enfants réussissent bien dans le monde et
Kant fournit ici une deuxième raison des habitudes éducatives : le souci de la réussite, c’est-à-dire la recherche d’un meilleur bien-être matériel. Cette raison de l’éducation n’est pas différente de la précédente (la préservation des insécurités), mais en est un approfondissement : il s’agit de saisir que toute éducation est un prolongement de soi, dans la mesure où les parents veulent que les enfants profitent au maximum de ce qu’ils ont transmis. L’erreur vient alors du fait que l’idéal du meilleur dans l’éducation s’exprime de façon matérielle, alors qu’il est d’une nature intellectuelle et morale.

b - Le souci politique de la paix sociale


2. les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins. Les parents songent à la maison, les princes songent à l'État.
Kant analyse ici le deuxième obstacle à une bonne conception de l’éducation : les décisions des gouvernants. Identifiés ici aux princes, qui sont les souverains de l’époque, mais dont il importe peu qu’ils soient des rois, puisque ce jugement serait tout aussi applicable à des ministres du gouvernement d’une démocratie représentative, ces décideurs politiques ne conçoivent l’éducation que comme un moyen au service de leur pouvoir. Autrement dit, l’éducation devient un moyen d’asseoir l’autorité, de réaliser le pouvoir politique, et non de réaliser l’homme et de le destiner à l’humanité.

c - Le bien particulier des habitudes contre le bien universel du devoir.


Les uns et les autres n'ont pas pour but ultime le bien universel et la perfection à laquelle l'humanité est destinée, et pour laquelle elle possède aussi des dispositions.
L’analyse de l’éducation parentale comme des politiques d’éducation conduit Kant à rejeter ces deux options, dans la mesure où elles dénaturent l’éducation, en subordonnant l’éducation à une fin extérieure au sujet éduqué. Dès lors, l’éducation des parents comme des princes est une éducation qui ne développe les meilleures dispositions en l’homme. Par conséquent, elle conduit à isoler l’homme de l’homme, et à détruire l’idée d’humanité.

Partie 2 : L’idéal cosmopolitique comme chemin du progrès.

a - Le cosmopolitisme des politiques éducatives.


Pourtant la conception d'un plan d'éducation doit recevoir une orientation cosmopolitique.
Lorsque Kant précise que l’éducation doit être cosmopolitique, il faut comprendre cette exigence comme la volonté d’insister sur le fait que l’idéal d’éducation n’est pas déconnecté de la réalité humaine. Si la meilleure éducation cultive le meilleur en l’homme, cela l’enjoint de se concevoir comme devant réaliser une destination, une humanité en lui-même. Dès lors, il se conçoit précisément comme celui qui découvre ce qui fait que l’homme est homme, et qui doit ainsi partager cette humanité avec autrui. Par conséquent, les politiques éducatives sont nécessairement cosmopolitique, c’est-à-dire qu’elles doivent s’efforcer de rapprocher les hommes et les peuples, pour réaliser ce que Kant identifie, dans Les fondements de la métaphysique des moeurs, au règne des fins.

b - L’intégration du particulier dans l’universel.


Mais le bien universel est-il une idée qui puisse nuire à notre bien particulier ? En aucun cas !
Prévenant une erreur d’interprétation possible, Kant insiste ici sur le fait que la conception de l’éducation qu’il défend n’est pas un renoncement au monde tel qu’il est, et n’est pas une formation qui rend l’homme étranger à la société dans laquelle il vit. Au contraire, c’est en se comprenant lui-même qu’il pourra être adapté au monde dans lequel il vit. Kant a donc inversé le principe de l’éducation, en montrant que ce n’est pas l’homme qui doit s’adapter au monde, mais le monde qui doit s’adapter à l’homme.

c - Du bien moral au bien présent.


Car même s'il semble qu'il faille lui sacrifier quelque chose, on n'en travaille que mieux, grâce à cette idée, au bien de son état présent.
Le corollaire de l’affirmation précédente est le refus l’accusation de sacrifice qui pourrait peser sur la conception kantienne des politiques d’éducation. Kant n’a en effet pas rejeté le bien présent, mais une mauvaise interprétation de ce bien présent, sous la forme des biens matériels ou de l’ordre politique.