Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, Introduction

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L'analyse du professeur


Kant confesse avoir été réveillé de son sommeil dogmatique par Hume, et avoir ainsi pris conscience du fait que tout connaissance ne pouvait se construire qu’en s’appuyant sur l’apport informatif des organes sensoriels. Pourtant, la théorie critique de la connaissance qu’il élabore ne laissa pas elle-même d’être fortement remise en question par ses successeurs, et notamment Schelling et Hegel, pour qui le moi fini n’est qu’une forme non complète du moi connaissant, face auquel il est nécessaire d’affirmer une forme plus aboutie de conscience, possédant ainsi un savoir absolu.
À cet égard, dans le texte qui est ici soumis à notre étude, Hegel défend la thèse selon laquelle la conscience est un mouvement de réalisation des objets, dans lequel la distinction entre le sujet et l’objet se trouve dépassée, au profit d’une synthèse qui est celle de l’Esprit. Autrement dit, le vrai sensible n’est vrai qu’à la condition d’être produit lui-même par un mécanisme intelligible témoignant alors du fait que la vérité intelligible est absolue et première dans la connaissance que le moi prend des choses. Se trouve alors fondé un idéalisme absolu dans lequel la conscience est la dynamique de la science.
Nous chercherons tout d’abord à montrer en quoi ce dépassement de la séparation du sujet et de l’objet est possible, puis nous en viendrons à comprendre comment la conscience peut devenir un savoir total.

(...)

Plan proposé

Partie 1

a

Cela se présente ici de la façon suivante : en tant que ce qui apparaissait tout d’abord comme ob-jet s’écroule pour la conscience en un savoir qu’elle a de lui, et que l’en-soi devient un être-pour-la-conscience de l’en-soi,

Le rapport sujet objet est ici envisagé du point de vue du travail de la conscience. Hegel montre ainsi que l’objet disparaît au profit du savoir qui se construit, c’est-à-dire que l’objet est identifié, et devient ainsi un nom ou une définition, et n’est plus présent comme chose étrangère et non identifiable.

b

c’est là le nouvel ob-jet, avec lequel entre en scène aussi une nouvelle figure de la conscience, pour laquelle quelque chose d’autre que pour la figure précédente est l’essence.

La complexité de ce mouvement est alors que la conscience de l’objet transforme la conscience elle-même, qui appréhende l’objet et elle-même dans ce rapport de correspondance : un troisième terme est donc né de la réunion de la conscience et de l’objet (effet de miroir qui synthétise le sujet et l’objet dans l’idée de la raison).

c

C’est cette circonstance qui fait que la suite tout entière des figures de la conscience est conduite suivant une nécessité qui est la sienne. Seule cette nécessité même, ou la naissance du nouvel ob-jet qui s’offre à la conscience sans qu’elle sache ce qui lui arrive, est ce qui se déroule pour nous en quelque sorte dans son dos < was für uns gleichsam hinter seinem Rücken vorgeht >.

La conscience est donc un processus dynamique qui est toujours caractérisé par sa capacité à s’identifier aux objets, en ne se résumant jamais à une pure présence à elle-même. Dès lors, l’être au monde de la conscience procède d’un avènement de soi qui oblige toujours la conscience (le sujet) comme la chose (l’objet) à disparaître au profit d’une synthèse.

Partie 2

a

Par là, entre dans son mouvement un moment de l’être-en-soi ou pour-nous < ein Moment des Ansich- oder Fürunsseins >, lequel ne se présente pas pour la conscience qui est comprise dans l’expérience < Erfahrung > elle-même ; mais le contenu de ce que nous voyons naître est pour elle, et nous ne faisons qu’en comprendre le côté formel ou le pur fait, pour lui, de naître ; pour elle < für es >, ce qui, ainsi, est né < dies Entstandene >, est seulement comme ob-jet < Gegenstand > ; — pour nous, en même temps comme mouvement et devenir < für uns zugleich als Bewegung und Werden >. Du fait de cette nécessité, le chemin menant à la science est lui-même déjà de la science, et, suivant son contenu, par conséquent, science de l’expérience de la Cons-cience.

La conscience est donc en ce sens imparfaite, ou n’a pas conscience de tout ce qu’elle possède dans son mouvement d’identification des choses qui l’entourent. La conscience n’a donc conscience que de ce qui relève du domaine de l’expérience, tout en étant capable de fonder cette expérience sur une dynamique d’identification plus profonde (la transformation consciente de ce qui fonde l’objet tel qu’il nous apparaît). La conscience est donc de la science, ce qui signifie que le « cum » du « cum-scientia » se trouve oublié par le processus conscient de la conscience.

b

L’expérience que la Conscience fait à son propre sujet, ne peut, selon le concept d’elle-même, comprendre en elle rien de moins que le système total de la vérité de l’Esprit, de telle sorte que les moments de cette vérité se présentent dans cette déterminité spécifique qui consiste, pour eux, à ne pas être des moments abstraits, purs, mais à être tels qu’ils sont pour la Conscience, ou tels que les rend celle-ci même entrant en scène en se rapportant à eux, — ce qui fait que des moments du tout des figures de la Conscience.

La conscience ne se trouve néanmoins pas subordonnée à une chose en soi qui existerait à l’extérieur d’elle-même et lui assignerait les formes de son intellection. La conscience est au contraire une totalité qui contient déjà l’ensemble de ce qui déterminable. Autrement dit, la conscience est un système qui possède toute la réalité, et chaque élément particulier de la réalité n’a d’existence et de sens qu’en tant qu’il s’exprime par cette conscience.

c

En sa poussée continue en direction de son existence vraie, la conscience va atteindre un point où elle se défait de l’apparence < es seinen Schein ablegt > en laquelle elle est prise, d’être en proie à quelque chose d’étranger, qui n’est que pour elle et comme quelque chose d’autre, ou encore à un point où l’apparition devient égale à l’essence < die Erscheinung dem Wesen gleich wird >, et où, de ce fait, la présentation < Darstellung > d’une telle Conscience coïncide avec ce point qui est précisément celui de la science proprement dite de l’Esprit ; et finalement, en saisissant elle-même cette essence qui est la sienne, la conscience va désigner la nature du savoir absolu lui-même ».

La vérité dépend donc ultimement d’un retour à soi de la conscience, c’est-à-dire d’une capacité à s’affranchir de la scission entre le sujet et l’objet, et à produire ainsi le principe de la réalité en lui-même. En ce sens, la science de l’Esprit désigne ce stade ultime de la conscience qui a dépassé la donation du phénomène pour se comprendre comme origine du savoir de toute chose.