Devons-nous mémoire ou oubli ?

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L'analyse du professeur


Patrick Süskind, dans « Amnésie littéraire » (Un combat et autres récits) fait dire à son narrateur « tu n’as pas le droit de te laisser à cette effroyable amnésie, tu dois lutter contre ce courant du fleuve de l’oubli ». Pourtant, dans la seconde de ses Considérations inactuelles, Nietzsche écrit que le mouton est heureux parce qu’il a la capacité d’oublier immédiatement ce qu’il a vécu. Il constate que l’homme souffre de ne pas posséder cette capacité d’oublier. Faut-il alors penser que nous devrions oublier ? L’oubli ne désigne-t-il pas plutôt la perte de la mémoire, et la perte d’une partie de son identité ?
Le paradoxe de ce sujet tient au constat de cette ambivalence de l’oubli. Si la mémoire individuelle n’est pas vraiment maîtrisable, tout l’intérêt de ce sujet est dès lors dans son sens collectif, appliqué à une société. Faut-il prôner l’oubli, dès l’instant où cet oubli peut blesser la mémoire d’événements traumatiques, comme ceux de la guerre d’Algérie qu’évoque Meurtre pour mémoire, ou faut-il au contraire réactiver cette mémoire, attendu qu’elle risque de réactiver des conflits et de cristalliser des antagonismes ? Le problème devient alors celui de savoir dans quelle mesure le culture de la mémoire peut se faire en évitant cette tendance au conflit, d’un vécu qui a nécessairement été traumatique.
Nous nous efforcerons de montrer, dans un premier temps, que l’oubli correspond à un dangereux effacement de la mémoire. Nous en viendrons toutefois à dépasser ce constat, pour essayer de montrer qu’il est du devoir des pouvoirs publics de défendre un sens nouveau de l’oubli, débarrassé des tensions de la mémoire.
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