D'HOLBACH, systeme-social (extrait)

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L'analyse du professeur


La mise en scène du sauvage est un exercice classique des penseurs politiques contractualistes : bon ou mauvais, le sauvage apparaît d’ailleurs moins comme une réalité historique que comme une fiction méthodologique dont l’identité est essentiellement utile à comprendre de quelle manière l’homme pourrait agir s’il n’était pas conditionné par les règles sociales.
À cet égard, le texte de d’Holbach ici soumis à notre étude attaque directement la valorisation de l’homme souvent sous-jacente aux contractualismes modernes : à ses yeux, évoquer une liberté naturelle illimitée, comme peuvent le faire Hobbes ou encore Locke, est une illusion dangereuse qui méconnaît la réalité de la liberté naturelle. Pourtant, faut-il ainsi résumer la liberté naturelle ? Ne peut-on considérer que cette liberté n’est pas tant une valorisation effective d’un pouvoir de décider et d’agir, mais un idéal consistant à penser et justifier la nature des droits humains en fonction d’une définition idéale de l’homme ?
Nous chercherons tout d’abord à montrer quels sont les reproches qu’adresse d’Holbach à la conception de la liberté naturelle, puis nous montrerons que ces reproches conduisent à une défense du développement social de l’homme.

(...)

Plan proposé

Partie 1 : L’état d’imbécilité de l’homme naturel.

a

On prétend que le sauvage est un être plus heureux que l'homme civilisé. Mais en quoi consiste son bonheur et qu'est-ce qu'un Sauvage ? C'est un enfant vigoureux, privé de ressources, d'expériences, de raison, d'industrie, qui souffre continuellement la faim et la misère, qui se voit à chaque instant forcé de lutter contre les bêtes, qui d'ailleurs ne connaît d'autre loi que son caprice, d'autres règles que ses passions du moment, d'autre droit que la force, d'autre vertu que la témérité.

L’homme à l’état de nature est ici présenté sous l’angle de sa force physique sauvage : il n’est en réalité qu’un être faible, dont la puissance naturelle ne peut dominer le monde réel, et qui se trouve ainsi placé dans des conditions constantes de précarité.

b

C'est un être fougueux, inconsidéré, cruel, vindicatif, injuste, qui ne veut point de frein, qui ne prévoit pas le lendemain, qui est à tout moment exposé à devenir la victime, ou de sa propre folie, ou de la férocité des stupides qui lui ressemblent.

Ici se trouve plutôt évoquée la misère intellectuelle de l’homme à l’état de nature, qui fait peser un risque important sur la survie de l’homme. Non seulement l’homme ne peut compter sur l’aide de sa raison pour améliorer l’efficacité de son action, mais sa déraison menace sa vie et celle des autres, puisqu’elle met son intelligence au service des finalités les moins morales.

c

La Vie Sauvage ou l'état de nature auquel des spéculateurs chagrins ont voulu ramener les hommes, l'âge d'or si vanté par les poètes, ne sont dans le vrai que des états de misère, d'imbécillité, de déraison.
La conclusion est sans appel : l’homme à l’état de nature est un être fragile et sans espoir, dont l’existence n’est conçue comme souhaitable qu’au prix d’une illusion poétique mystificatrice entretenant l’image d’un sauvage heureux, sans prêter attention aux contraintes de vie d’un tel homme.

Partie 2

a

Nous inviter d'y rentrer, c'est nous dire de rentrer dans l'enfance, d'oublier toutes nos connaissances, de renoncer aux lumières que notre esprit a pu acquérir : tandis que, pour notre malheur, notre raison n'est encore que fort peu développée, même dans les nations les plus civilisées.
Le premier atout de la vie sociale est le développement des Lumières, c’est-à-dire le progrès de la raison scientifique et le partage de cette raison entre les hommes. D’Holbach constate d’ailleurs que cette raison n’est pas elle-même assez assurée à son époque pour affirmer qu’elle est solide et qu’elle s’est imposée de façon définitive à l’homme. Il faut donc la défendre, ce à quoi ne contribue pas la valorisation de la liberté humaine naturelle.

b

[...] Les partisans de la Vie Sauvage nous vantent la liberté dont elle met à portée de jouir, tandis que la plupart des nations civilisées sont dans les fers. Mais des sauvages peuvent-ils jouir d'une vraie liberté ? Des êtres privés d'expériences et de raison, qui ne connaissent aucun motif pour contenir leurs passions, qui n'ont aucun but utile, peuvent-ils être regardés comme des êtres vraiment libres ?
Le second atout de la vie sociale est l’obtention d’une liberté réelle, qui n’est pas simplement un fantasme ou un rêve de liberté, fondée métaphysiquement sur la définition abstraite de l’homme, mais une liberté effective fondée sur des règles permettant à chacun de bénéficier, par les droits, des garanties indispensables d’une liberté de choix responsables dont la réalisation sera possible.

c

Un Sauvage n'exerce qu'une affreuse licence, aussi funeste pour lui-même, que nuisible pour les malheureux qui tombent en son pouvoir. La liberté entre les mains d'un être sans culture et sans vertu, est une arme tranchante entre les mains d'un enfant.
La liberté sociale est donc préférable à la liberté naturelle, et seule une telle conception de la liberté permet à l’homme de devenir adulte, c’est-à-dire d’atteindre un âge de raison lors duquel il apprend à conduire sa vie et à agir de façon intelligente et morale.