Blaise Pascal, de l'esprit géométrique

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L'analyse du professeur


L’importance prise par la démarche philosophique de Descartes depuis le XVIIe siècle n’est plus à prouver. Symbole de l’humanisme conquérant, la méthode préconisée par le philosophe est ainsi devenue une méthode incarnant le développement scientifique et technique de l’humanisme des modernes, tout autant que la confiance que le sujet peut ainsi avoir en lui-même, et en la puissance de sa rationalité. Pourtant, dès le XVIIe siècle, cette confiance est battue en brèche par un certain nombre de critiques, dont celle de Pascal, qui aujourd’hui encore est cité en référence de cet esprit de méfiance développé à l’encontre de l’assurance rationaliste cartésienne.
Dans le texte qui est ici soumis à notre étude, Pascal opère justement de façon à peine implicite une critique puissante de l’esprit cartésien et de ses prétentions, au point qu’il en vient à défendre une méthode géométrique opposée à la déduction hypothético déductive des évidences chez Descartes, et à la volonté plus générale de tout mettre en doute pour fournir à la connaissance un fondement ferme et indubitable. La thèse de l’esprit géométrique devient ainsi une thèse appelant la modestie de l’homme et du scientifique, modestie au regard de laquelle l’homme ne peut ni ne doit chercher à tout montrer et prouver.
Nous chercherons à montrer que ce texte repose d’abord sur une définition de la méthode cartésienne de la recherche de la vérité, définition qui est ainsi le fondement d’une critique développée dans un deuxième temps du texte, prenant plus particulièrement pour cible la possibilité e de découvrir et développer des vérités premières. Une fois cette critique formulée, le texte en vient alors, dans un dernier temps, à défendre l’idée d’un esprit géométrique au moyen duquel l’homme pourra définir utilement et modestement les limites de sa connaissance.

(...)

Plan proposé

Partie 1

a

Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s’il était possible d’y arriver, consisterait en deux choses principales
L’emploi des mots de « méthode », de « démonstration » et « d’excellence » montre implicitement la cible de Pascal : Descartes. Plus précisément, ce que Pascal cherche à montrer est que la méthode cartésienne est une méthode qui cherche à atteindre le vrai en développant un processus de construction du sens du vrai qui a pour but d’atteindre une forme d’excellence qui est autant intellectuelle que morale.

b

l’une, de n’employer aucun terme dont on n’eût auparavant expliqué nettement le sens;
Le premier fondement de la méthode est la nécessité de fonder le discours sur une maîtrise du sens, c’est-à-dire de montrer que le discours ne peut être vrai qu’à la condition de reposer sur des définitions vraies et partagées du sens des mots. Cette vérité des mots et des définitions repose chez Descartes sur le critère de l’adéquation de la chose et de l’esprit, c’est-à-dire sur l’impossibilité de montrer que la chose conçue est fausse (critère de l’évidence).

c

l’autre, de n’avancer jamais aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues; c’est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions. [...]
Le second fondement de la démarche cartésienne est le mécanisme de la déduction : si les définitions des choses sont vraies et évidentes, la déduction des propositions doit également l’être. Il faut donc que les propositions soient aussi évidentes, et que l’esprit soit incapable de les mettre en question.

Partie 2

a

Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible: car il est évident que les premiers termes qu’on voudrait définir, en supposeraient de précédents pour servir à leur explication,
La critique de Pascal est radicale : elle met en question la possibilité de remonter au sens premier et fondamental des choses, dans la mesure où tout terme repose lui-même sur un terme premier, et ainsi à l’infini. Pascal emploie ici l’argument de la régression à l’infini (ou argument du troisième homme, chez Aristote par exemple), selon lequel tout mot et toute proposition repose plus fondamentalement sur des conditions premières, et ces conditions premières reposent elles-mêmes sur d’autres conditions. Rechercher une vérité première est ainsi vain.

b

et que de même les premières propositions qu’on voudrait prouver en supposeraient d’autres qui les précédassent; et ainsi il est clair qu’on n’arriverait jamais aux premières.
La volonté de fonder ultimement le sens du vrai est donc un idéal impossible à atteindre en pratique : il s’agit d’une idée et non d’une réalité.

c

Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu’on ne peut plus définir, et à des principes si clairs qu’on n’en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve.
Le seul moyen de satisfaire l’exigence de Descartes est donc de concéder qu’il y a des termes premiers impossibles à expliquer et à approfondir. Néanmoins, aux yeux de pascal, ces termes ne sont pas absolument premiers (vrais en eux-mêmes), mais ils sont plutôt premiers pour l’esprit humain, qui n’est pas capable de les justifier mieux et plus. C’est donc la finitude de l’homme, son incapacité à dire plus et mieux, qui fonde le caractère premier des termes.

Partie 3

a

D’où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit, dans un ordre absolument accompli.
Là ou Descartes déduisait la force de l’homme, Pascal déduit pour les mêmes raisons sa faiblesse, puisque le terme premier de la connaissance est la marque de l’impuissance humaine à aller plus loin (et non la marque du fondement ultime de la vérité de la chose). L’homme est donc incapable d’aboutir à une vérité première et parfaite, pas plus qu’il n’est capable de démontrer parfaitement une chose.

b

Mais il ne s’ensuit pas de là qu’on doive abandonner toute sorte d’ordre. Car il y en a un, et c’est celui de la géométrie (...). Cet ordre, le plus parfait entre les hommes, consiste non pas à tout définir et à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer,
Pascal en vient alors à prôner l’ordre géométrique contre l’ordre arithmétique de la déduction cartésienne. Cet ordre géométrique est un ordre de proportion, relatif aux capacités de l’esprit humain. Il est un ordre qui se contente de ce que possède l’homme comme moyen de connaissance.

c

mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. "
Cet ordre a un sens moral, dans la mesure où il consiste à accepter le fait que l’homme ne peut tout connaître, et se trouve donc soumis à des vérités premières qu’il ne peut atteindre. Ce que montre ici implicitement Pascal est la présence d’une vérité morale supérieure à la vérité scientifique et à la rationalité de l’homme. Autrement dit, l’homme doit accepter que le sens qu’il donne aux choses est limité par son pouvoir de connaître, et qu’il y aura toujours des choses qu’il ne pourra atteindre, choses qui reposent par ailleurs en Dieu.