Bergson, La pensée et le mouvant (extrait)

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L'analyse du professeur


« Merdre » : l’interjection sans cesse vociférée par Ubu a de quoi surprendre. Souvent considérée comme un exemple du dangereux ridicule du tyran, cette transgression du langage n’est cependant pas anodine, et il ne serait pas étonnant que Jarry ait voulu par là signifier à quel point le langage traduit l’emprise de la représentation mentale sur le réel. Le « merdre » de Ubu résonne comme le glas annonciateur d’une cruauté, le point de départ d’une colère dont l’insatisfaction se terminera par un acte d’autorité. Le langage serait-il en ce sens porteur d’une façon de voir et de comprendre le réel ? La façon dont l’homme appréhende le réel est-elle ainsi inscrite dans la manière dont il le désigne.
C’est cette étroite parenté entre le langage et l’action qui fait l’objet du texte de Bergson qui est ici soumis à notre étude. Bergson pose plus particulièrement le problème de savoir si le langage est partial, et jusqu’à quel point il est possible de l’identifier à une description objective du réel. Loin de rejeter l’idée d’une naturalité du langage qui est ainsi un outil au service de la compréhension et de l’analyse du réel, Bergson précise pourtant cette thèse en montrant qu’elle n’est pas contradictoire avec une certaine forme de conventionnalisme des mots. Toutefois, ce conventionnalisme d’usage s’intègre pour lui plus largement dans une fonction utilitaire du langage, qui n’est jamais une description objective et passive de la réalité, mais toujours une façon de la saisir et la décrypter à partir d’une représentation des besoins de l’action humaine.
Nous nous ainsi attacherons tout d’abord à analyser la manière dont Bergson définit le langage comme un acte de communication qui a pour but de décrire ou de prescrire afin d’optimiser la coopération entre les hommes. Nous en viendrons ensuite à montrer que cette coopération marque, aux yeux de Bergson, les mots d’un sceau utilitaire dont ils ne peuvent se départir lorsqu’ils participent d’une appréhension non utilitaire de la réalité.
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