Annales BAC 2017 - Pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ?

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L'analyse du professeur


Dans ses Considérations inactuelles, Nietzsche raconte l’histoire du mouton qui est heureux parce qu’il oublie immédiatement ce qu’il vient de faire. Le mouton veut du reste se confier à l’homme, pour lui donner son secret, mais il l’oublie aussitôt et ne peut le révéler : l’homme reste donc malheureux, à la recherche de son bonheur. Une telle fable a ceci d’intéressant qu’elle semble enseigner que la recherche du bonheur dépend paradoxalement du fait de ne pas le rechercher. Pourtant, une telle règle est-elle applicable à un homme doté d’une conscience et d’une mémoire ?

La question « pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ? » paraît à cet égard épineuse, puisqu’elle semble indiquer que la conscience humaine ne peut jouer un rôle prescripteur pour la recherche du bonheur. Le bonheur ne serait-il donc qu’une affaire de hasard ? Si nous définissons le bonheur comme le contentement durable qu’atteint un individu, et que ce contentement correspond à la capacité à satisfaire les besoins et les désirs considérés comme essentiels pour éviter un manque handicapant, comment serait-il possible que l’homme ne puisse rien faire alors même que c’est sa conscience qui lui permet de prendre la mesure d’un tel bonheur ?

Nous chercherons en ce sens tout d’abord à montrer que la définition du rapport de l’homme au bonheur incite à penser que le bonheur est une affaire de volonté, et qu’il faut le chercher pour le trouver. Nous pourrons toutefois constater que les échecs de la volonté, et les difficultés que rencontre l’homme dans la recherche de son bonheur, font qu’il peut apparaître nécessaire de reconnaître que l’homme ne trouve le bonheur que par hasard. Nous en viendrons enfin à penser que paradoxalement, et en suivant les enseignements du hasard, l’homme ne peut trouver le bonheur qu’en le refusant, c’est-à-dire en refusant de chercher des choses qui lui restent toujours incertaines en raison de sa finitude radicale.

[...]

Plan proposé

Partie 1

Le bonheur paraît d’abord dépendre de la capacité à satisfaire certains besoins et certains désirs. Nous pouvons en effet penser que c’est l’accumulation des plaisirs qui constitue le bonheur, et qu’à cet égard l’homme a tout intérêt à bien discerner ce qui lui manque pour réfléchir aux moyens les plus pertinents pour l’atteindre. C’est en tout cas ce que prétend Épicure lorsqu’il discerne, dans la Lettre à Ménécée, les plaisirs naturels et nécessaires des autres plaisirs, et qu’il préconise une volonté forte pour se garder de se tromper dans le choix de ses objets de désirs.

Le bonheur suppose en ce sens une éducation qui renforcera le jugement et éduquera la volonté. C’est la raison pour laquelle la sagesse ne peut être une affaire de jeunesse, mais dépend de l’accumulation des expériences passées. C’est en un sens ce que suppose une conception du bonheur selon Hume qui, dans son Traité de la nature humaine, montre qu’elle repose sur les habitudes que se forge un individu, et sur sa capacité à saisir ce qui est important pour lui, et à définir les moyens de l’atteindre.

Enfin, il apparaît clairement que le bonheur conduira progressivement celui qui le recherche à se connaître et à connaître ce qui l’entoure, ce qui lui permettra de rendre sa volonté adéquate à son environnement. Spinoza, dans Éthique, prétend ainsi que l’homme ne pourra se déprendre des illusions de son plaisir qu’en ayant un comportement éthique, c’est-à-dire en se rendant conforme au monde qui l’entoure. Une telle conception du rapport au bonheur paraît toutefois particulièrement optimiste, dans la mesure où elle suppose que les efforts de la recherche seront récompensés, et donc que l’adéquation de la volonté au réel sera systématique. Néanmoins, une telle adéquation est loin d’être évidente, comme peuvent le montrer les échecs répétés y compris de ceux qui ont de l’expérience.

Partie 2

Nous devons en effet constater tout d’abord que rien ne garantit que le désir de contentement soit au rendez-vous de notre action. Rousseau montre par exemple, dans La nouvelle Héloïse, que le propre de la recherche du désir est de fantasmer son objet au point de toujours être déçu lorsqu’on l’atteint. Mieux vaut donc selon lui vivre dans le pays des chimères que dans le réel.

En outre, il semble que beaucoup de choses ne dépendent pas de nous et que nous ne puissions que nous remettre dans les mains de l’incertitude du monde si nous désirons des choses qui ne dépendent pas fondamentalement de notre volonté et même de notre discernement (puisque nous pouvons faire des erreurs). C’est un tel constat qui porte Épictète à préférer l’abstention que l’action, et à préconiser de se méfier du monde extérieur plutôt que d’agir en se fragilisant. Enfin, force est de constater que nous changeons fréquemment d’avis et que nous ne sommes pas même maître de nous-mêmes. La versatilité de nos désirs comme l’impossibilité de contrôler leurs venues et leurs causes semble donc fragiliser d’autant plus la construction d’un bonheur durable, dont nous aurions pleinement conscience et que nous pourrions assurer. C’est ce qui découle du reste de l’analyse de Freud, dans Métapsychologie, lorsqu’il met au jour la structure pulsionnelle du désir, et la difficulté de maîtriser consciemment ce qui se joue dans les mouvements inconscients du désir.

Le bonheur ne semble donc pas pouvoir dépendre d’une volonté consciente et il paraît nécessaire de reconnaître que les efforts volontaires de l’homme pour l’atteindre ne sont que vains. Le paradoxe de l’homme semble donc être qu’il est déterminé consciemment à vouloir un bonheur qu’il ne peut atteindre.

Partie 3

Cependant, si le bonheur semble toujours échapper à l’homme, cela paraît provenir du fait qu’il lui est impossible d’atteindre des choses dont le manque l’affecte. À l’inverse, une telle objection n’est peut-être pas pertinente si l’homme définit son bonheur comme un rejet de tout manque, c’est-à-dire comme pure jouissance de soi et de ses actes. Le bonheur consisterait en ce sens en une pure jouissance du moment présent, un carpe diem qui refuse de penser à toute projection dans le temps ou dans l’espace, forme de synthèse horacienne entre épicurisme et stoïcisme.

Une telle conception du bonheur semble alors correspondre à une forme de fatalisme immédiat de celui qui accepte ce qui lui arrive sans chercher à changer le sens des évènements. Cependant, pour échapper aux coups du sort, ce fatalisme sera obligé de considérer que le bonheur réside purement dans l’expérience de ce qui est vécu et ce qu’elle révèle psychologiquement et intérieurement. C’est semble-t-il ce que préconise Diogène de Sinope, celui qui vivait dans un tonneau et selon les exigences de la nature, tel un chien (dont du reste il est dit qu’il appréciait la compagnie).

Dès lors, la recherche du bonheur serait bien un exercice vain, mais cela ne voudrait pas dire que le bonheur se trouve par hasard : il dépend d’une ascèse intellectuelle et morale selon laquelle celui qui vit ne considère jamais ses expériences de vie comme des expériences qui l’ouvrirait au monde, mais plutôt comme des expériences qui le renvoient à lui-même. Une telle sagesse de l’intériorité rejoint en ce sens le bouddhisme et l’idéal de la méditation, selon lequel le bonheur se trouve uniquement dans la réflexion sur soi.

Conclusion

Nous ne pouvons donc trancher le paradoxe de ce sujet qu’à la condition de considérer que le problème fondamental qu’il posait était celui de la vanité de toute volonté. Autrement dit, la recherche du bonheur est une expérience de la frustration qui apprend à celui qui se met en quête de sa réalisation que le bonheur n’a de réalité que subjective. Le bonheur est donc purement intérieur et méditatif, ce qui semble du reste assez logique pour être qui se définit d’abord par les propriétés de sa conscience.