L'analyse du professeur
Au début du XIXe siècle, Frankenstein ou le Prométhée moderne pouvait apparaître comme le fruit d’une imagination délirante s’essayant à un exercice risqué de production littéraire gothique. Pourtant, presque deux siècles plus tard, cette fiction semble désormais non seulement au fondement de la plupart des écrits de science-fiction, mais fait également figure d’exemple typique d’une science non maîtrisée, qui peut réellement enfanter les monstruosités les plus terrifiantes. À cet égard, se demander si le développement technique peut transformer les hommes ne semble pas absurde. La capacité à développer des outils techniques au moyen desquels l’homme peut agir et transformer les choses naturelles a en effet atteint les éléments les plus fondamentaux du vivant, à tel point que l’homme est effectivement devenu un Prométhée, qui peut choisir son type de vie et imposer aux dieux en les trompant son propre mode de vie.
Cependant, cette vision alarmiste du pouvoir technique suppose implicitement que l’homme était à l’origine, ou par nature, assigné à un type d’existence tel qu’il n’avait pas la possibilité et même le droit de maîtriser et transformer le cours de son existence. Faut-il accepter sans réserve une telle vision de la nature humaine ? Ne faut-il pas plutôt penser que l’homme est par nature ce caméléon dont parlait déjà Pic de la Mirandole, qui a vocation à choisir son type d’existence, chose dont n’est pas particulièrement responsable le développement technique, mais qui serait inscrite dans le pouvoir essentiel de l’homme ?
Nous chercherons tout d’abord à montrer que le développement technique est un ensemble de procédés inventés par l’homme dont la teneur a progressivement permis de transformer l’homme. Nous en viendrons alors à constater que cette transformation n’est pas seulement existentielle, mais essentielle, dans la mesure où l’homme est parvenu à se faire Dieu et à créer les conditions d’une vie naturelle nouvelle. En ce sens, il nous faudra enfin nous interroger sur cette modification radicale de l’humain, pour nous interroger sur l’identité de cet homme nouveau qui résulte du développement technique.
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Plan proposé
Partie 1 : Le développement technique modifie l’existence de l’homme.
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Le développement technique désigne la possibilité de mettre au point des outils techniques au moyen desquels l’homme peut compléter ce que la nature lui a donné spontanément, et faciliter ainsi son action sur le monde. En ce sens, le développement technique ne change pas fondamentalement ce qui est donné naturellement : il prolonge la nature et l’homme tels qu’ils existent par eux-mêmes.
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Cependant, cette vision continuiste de la technique est partiellement trompeuse, puisque l’homme parvient à modifier l’équilibre naturel, et à changer les conditions des écosystèmes. À cet égard, le développement technique a doté l’homme d’un pouvoir inédit de transformation de la nature qui modifie ses modalités d’existence.
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Si de prime abord ce pouvoir nouveau ne semble pas modifier la nature humaine, il faut toutefois constater que l’homme est partiellement modifié dans ce qu’il est, puisqu’il n’envisage plus désormais son existence de la même manière : il a construit un système d’existence qui lui donne les moyens de se vivre différemment et de se penser selon une logique et un devenir radicalement différents.
Partie 2 : Le développement technique : une modification essentielle de l’humain ?
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Le développement technique a donc modifié profondément le regard de l’homme, c’est-à-dire sa logique d’existence. Il semble à cet égard que l’homme ne voit plus la nature et ce qui l’entoure de la même manière : il est même devenu incapable de contempler les choses naturelles, puisqu’il ne voit les choses qu’à travers le prisme de leur utilité technique et de la raison instrumentale.
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Dès lors, la question de l’essence ou de la nature humaine se trouve posée. Si l’homme ne vit plus dans le même monde qu’auparavant, et si la vision qu’il a des choses n’est plus du tout la même, que reste-t-il de l’homme ? La technique semble avoir modifié non seulement les modalités d’existence de l’homme, mais plus profondément son essence, ou en tout cas la manière dont il y a accès.
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Si le développement technique a ainsi fait de l’homme est créateur de lui-même, un Prométhée qui n’a plus la même forme et se trouve doté du pouvoir de se faire à l’image de ses choix, cette vision reste toutefois particulièrement optimiste ou idéaliste, puisqu’elle ignore à quel point l’homme reste aliéné à des nécessités naturelles, qu’elles soient celles de son environnement ou celles des contraintes biologiques et physiologiques de son existence. La dialectique de l’essence et de l’existence paraît ainsi plus complexe que celle de la dichotomie entre homme ancien et homme nouveau.
Partie 3 : Le paradoxe du développement technique : un homme plastique qui ne maîtrise pas pleinement ses trasnformations.
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Il apparaît alors que le développement technique n’est pas parvenu à transformer totalement l’homme, puisque ce dernier reste profondément marqué par des nécessités naturelles et des contraintes auxquelles il ne peut se soustraire. Le développement technique semble ainsi être un jeu un peu stérile de contournement des contraintes naturelles, qui ne parvient jamais à les éliminer.
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Par ailleurs, ce que le développement technique révèle, paradoxalement, est le fait que l’homme peut s’adapter à différentes conditions de vie, en vient à développer des systèmes de vie profondément différents les uns des autres. En ce sens, il semble bien que l’homme n’est jamais vraiment tributaire d’une nature absolue, et peut déjouer ce qu’il croit être. L’homme est plastique, et la technique est la logique de son changement naturel progressif.
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Entre conditions naturelles et pouvoir de transformation, l’homme semble ainsi pris dans une contradiction fondamentale, qu’il n’est ainsi possible de résoudre qu’en prenant en compte le fait que la technique ne transforme pas l’homme, mais lui permet de se réaliser. Ce n’est donc pas la nature humaine qui se trouve modifiée, mais c’est l’homme qui est naturellement modifiable par la technique.