Annales BAC 2008 - Peut-ooeuvren aimer une oeuvre d’art sans la comprendre ?

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L'analyse du professeur


Le carré blanc sur fond blanc de Malévitch est emblématique d’une oeuvre d’art dont le sens immédiat échappe à la compréhension d’un spectateur non averti. Puisqu’il semble impossible d’admirer l’oeuvre pour ce qu’elle représente, ce tableau paraît indiquer que la contemplation de l’art requiert une explication, une initiation, un discours qui en soutiendraient l’existence. Cette oeuvre suffit-elle néanmoins à décrire tout rapport possible entre l’art et ses adeptes ? N’est-elle pas une exception, au regard de ce que sont habituellement les oeuvres d’art ?

Au travers de cet exemple se pose la question de ce qui fonde l’amour des oeuvres d’art. Il semble surprenant de supposer qu’une oeuvre d’art requiert une analyse de sa signification pour être appréciée, puisque l’art est d’abord inscrit dans un rapport sensible, au sens où il s’agit de la mise en oeuvre d’une représentation visuelle ou sonore destinée à être perçue. Néanmoins, la question de la réception sensible de la part du spectateur montre, à l’inverse, qu’un pur rapport sensoriel à l’oeuvre n’existe jamais isolément, dans la mesure où tout spectateur est un être conscient, qui a pour propriété essentielle d’interpréter ce qui se donne à lui, et d’en fournir ainsi une traduction rationnelle. Autrement dit, si l’homme est un animal rationnel, dont l’existence est consciente, toutes les choses qu’il est amené à vivre font l’objet d’une compréhension, et il serait impossible de dire que le rapport à l’oeuvre d’art fait exception. Le problème qui se pose est alors celui de savoir si l’amour de l’art dépend de cette compréhension intellectuelle, ou si la compréhension de l’oeuvre ne fait que traduire un rapport immédiat de plaisir, qui se fonde proprement sur le rapport sensible à l’oeuvre. Bref, quel rôle joue l’interprétation rationnelle du sens dans l’amour de l’oeuvre ?

Nous nous efforcerons tout d’abord de montrer que la compréhension d’une oeuvre fournit une interprétation du sens de l’oeuvre qui est à l’origine de l’amour que le spectateur lui porte (I). Nous chercherons toutefois à dépasser cette analyse, pour montrer que si la signification de l’oeuvre accompagne nécessairement le regard porté sur elle, l’amour de l’oeuvre excède en revanche ce qui est compris, parce que l’intérêt pour elle tient justement à ce qui échappe au jugement rationnel (II). Nous tenterons enfin de montrer que l’amour de l’oeuvre se fonde ultimement sur un paradoxe : l’oeuvre d’art ne plait que parce qu’elle appelle une compréhension que le spectateur ne parvient jamais véritablement à atteindre (III).
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