Annales BAC 2008 - L’art transforme-t-il notre conscience du réel ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


L’urinoir de Marcel Duchamp est devenu une référence incontournable de notre appréhension de l’histoire de l’art, tant il a marqué une rupture dans la façon de concevoir le rôle de l’art. Mettant au jour le principe de détournement des objets du quotidien dans une forme artistique qui leur donne une nouvelle apparence, Duchamp semble avoir modifié la façon de concevoir l’objet artistique, et replacé l’art dans un rapport dynamique et conflictuel avec une réalité dont on avait pu penser qu’il ne servait qu’à l’embellir.

S’offre alors à concevoir une forme d’étrangeté de l’art par rapport à la conscience que nous avons du réel. S’il n’est plus de mise de décréter que Duchamp n’était pas un artiste, ses œuvres posent néanmoins encore aujourd’hui un problème central, qui est celui de savoir dans quelle mesure l’art transforme la conscience que nous avons du réel. Si l’art donne en effet à voir quelque chose, une œuvre, il est nécessairement appréhendé par la conscience d’un spectateur, conscience dont ce spectateur use par ailleurs pour percevoir le monde qui l’entoure. Faut-il alors croire que cette conscience se trouve décalée par la nouveauté du regard sur une œuvre d’art, au sens où, par exemple, il ne serait plus possible de posséder une conscience identique de l’urinoir, et du rapport aux objets techniques, une fois que l’on a vu la fontaine de Duchamp ? Ne faut-il pas plutôt penser que l’urinoir ne fait qu’accéder à une nouvelle identité, celle d’œuvre d’art, qui s’ajoute simplement à son identité sanitaire première sans modifier les conditions de visibilité et de compréhension des objets techniques ? Se pose fondamentalement le problème de savoir si notre regard sur les choses contient en lui-même des attentes particulières quant à la forme des objets, ou si au contraire ce regard est disposé à voire toutes les formes de choses, qu’elles soient artistiques ou non.

Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que la conscience que nous avons des œuvres d’art est une conscience analogue à celle qui caractérise notre appréhension des choses usuelles (I). Nous nous efforcerons néanmoins de montrer que cette définition de la conscience des choses artistiques semble biaiser une partie de notre rapport aux œuvres, dans la mesure où elle ne semble pas vraiment prendre en compte ce qui fait l’essence de l’art, et tente ainsi de ramener la conscience de l’art à une conscience d’éléments déterminés et techniques (II). Nous essaierons dès lors de comprendre que l’art a bien un pouvoir de modification de notre conscience du réel, mais que ce pouvoir n’a de sens qu’à la condition de saisir que l’art ne propose pas tant une autre conscience du réel, qu’une critique de la conscience usuelle et technique des choses (III).
(...)