Annales BAC 2006 - Cela a-t-il un sens de vouloir échapper au temps ?

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L'analyse du professeur


La conscience du temps semble inhérente à toute pensée humaine. L’homme se situe en effet nécessairement dans le temps et dans l’espace, et il paraît impossible que l’intelligence humaine s’affranchisse de ces conditions de possibilité, c’est-à-dire qu’un homme puisse se concevoir autrement que dans un monde qui suit le cours du temps. Dès lors, ce que l’on appelle le moi est le produit présent d’un passé destiné à un futur. C’est le principe de causalité qui régit la suite des évènements dans le temps et qui oblige ainsi l’homme à se penser comme un être qui interagit avec les causes qui le déterminent. Le paradoxe implicite du sujet tient à cette conscience de la détermination de soi dans le temps. Il est évident que je ne peux pas m’extraire du temps et que le temps détermine le devenir du moi, ses états successifs. Toutefois, la conscience me donne à penser une certaine liberté, au sens où la causalité historique des évènements qui conditionne mon action paraît me laisser un espace de choix. La liberté procède donc de ma capacité à orienter le cours des choses et à résister ainsi à la façon dont ces choses arrivent sans que je les veuille. Néanmoins, il est évident que je ne peux parvenir toujours à réaliser ce que je souhaite. La causalité des évènements me résiste. Le sentiment de frustration ou de déception qui en découle nécessairement expliquerait en ce sens le souhait d’échapper à la suite des évènements, serait à l’origine d’une volonté de sortir du temps, d’échapper à son cours implacable. Ne faut-il voir cette réaction que comme du dépit absurde, au regard de ma condition d’être historique ? La conscience que j’ai de ma détermination n’est-elle pas déjà une manière d’y échapper en la relativisant ? L’enjeu d’une réflexion sur le rapport de l’homme au temps est donc moral : comment l’homme peut-il gérer son rapport au temps, pour ne pas avoir le sentiment d’être emprisonné dans une histoire qui déçoit sans cesse ses attentes et fait de lui le jouet impuissant d’un destin ?

(...)

Plan proposé

Partie 3

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Le temps se donne à penser sous la forme d’une nécessité causale d’enchaînements des évènements. À cet égard, l’homme a conscience qu’il est déterminé comme toute chose par le temps.

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L’homme peut d’ailleurs d’autant moins échapper au temps que le temps est une unité de mesure certes créé par lui, mais de façon non-arbitraire. Le temps est donc une unité de mesure objective qui traduit la façon dont la raison appréhende la suite des évènements.

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Dès lors, il semblerait absurde de refuser le temps, puisque ce rejet ne serait qu’un caprice de l’homme qui refuse de voir les choses en face et d’adopter une compréhension intelligente du cours des choses, sans que ce refus n’implique une modification quelconque de ce que sont les choses.

Partie 2

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Toutefois, au plan moral, le refus du temps a un sens, puisque l’homme exprime ainsi sa frustration devant un cours des évènements qu’il ne maîtrise pas et qui s’impose à lui en mettant directement en cause sa liberté.

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En ce sens, le refus du temps exprimerait l’angoisse de l’homme devant le sentiment paradoxal d’être à la fois libre et déterminé. Libre dans la conscience qu’il a de son existence, mais déterminé parce qu’impuissant à changer le cours des choses.

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Le refus du temps n’a donc peut-être aucune effectivité, mais est une réaction morale normale pour un homme qui se vit toujours sur le mode de la liberté et de la responsabilité. Loin de fuir ses responsabilités et de se réfugier dans l’ignorance, la réaction de celui qui rejette le temps serait ainsi une réaction hautement morale de révolte, pour celui qui cherche un monde meilleur.

Partie 3

a

Comment alors résorber l’écart entre un temps qui apparaît toujours incontrôlable à l’homme et sa volonté d’agir de façon autonome et responsable ? Refuser d’accepter la fatalité du temps peut semble en effet absurde pour qui est sans cesse confronté à la réalité des faits.

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Pourtant, à l’inverse, celui qui se plie au cours du temps, semble se déresponsabiliser au point de mettre en question toute forme de liberté. Accepter sans révolte le cours du temps revient à adopter une position fataliste moralement et politiquement dangereuse.

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Dès lors, il convient de ne pas considérer le temps sous l’angle d’une nécessité inacceptable. Le temps est au contraire une condition de compréhension du cours des évènements qui est donnée à l’homme afin de l’aider à rationaliser son action. Le temps est donc le support d’une liberté, dans la mesure où l’homme n’est jamais pleinement déterminé par le cours des choses, mais peut trouver dans la juste compréhension des choses le moyen de distinguer ce qui dépend de lui de ce qui lui reste inaccessible.