Les peines qu'inflige une société servent-elles une simple vengeance ?

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L'analyse du professeur


Au paragraphe 45 de son fameux Traité des délits et des peines, Beccaria écrit que « le moyen le plus sûr mais le plus difficile de prévenir les délits est de perfectionner l’éducation », préfigurant ainsi la célébrissime sentence ciselée par Hugo dans Claude Gueux : « ouvrez une école, vous fermerez des prisons ». Cette balance entre la fonction punitive de la justice et la fonction éducative du système scolaire illustre le dilemme de toute société, lorsqu’elle en vient à punir celui qu’elle n’a pas su empêcher de transgresser la loi.
Pourtant, il peut sembler presque naturel de réprimer celui qui a outrepassé la frontière de ses droits pour empiéter sur la liberté de son concitoyen. Plus encore, il peut sembler logique de lui faire payer le prix de sa violence, tant pour lui rappeler les limites qu’il n’a su respecter, que pour compenser l’outrage qu’il a commis. Néanmoins, le rapport entre une société et un individu est par nature différent de celui que peut entretenir spontanément un individu à l’égard d’un autre. Si la considération de l’autre comme égal incline à faire de lui un rival dont le comportement nie l’humanité de l’autre en raison même de sa violence à son égard, et peut dès lors peut-être justifier de le traiter à l’identique, cette logique de la vengeance n’est pas évidente lorsque la société doit juger de celui qui a défié les lois et nié la justice des hommes. Une société est en ce sens un tout face auquel la défiance d’un membre est avant tout une remise en question de la légitimité des lois, et non une agression ruinant l’égalité de l’alter ego. Dès lors, si la punition est un dû de la société, qui exécute ainsi le contrat qui la lie au citoyen victime de celui qui n’a pas respecté son devoir, elle doit en même temps être une réponse aux raisons pour lesquelles sa légitimité a été contestée, afin notamment de prévenir d’éventuelles transgressions analogues. La peine combine donc des finalités potentiellement antagonistes, comme la réparation du dommage, la punition du délit (ou du crime), ou encore l’espoir d’une réintégration de celui qui a renoncé au contrat. Ces antagonismes de finalités sont-ils réconciliables ? Ne faut-il pas y voir les motifs d’une faillite de la fonction judiciaire, voire des raisons juridiques et politiques du contrat social ?
Nous nous efforcerons de montrer que la punition se conçoit d’abord comme une légitimation de la vengeance, transformant l’arbitraire de la vengeance en condition de la justice. Nous en viendrons toutefois à constater les limites d’une telle justification de la fonction judiciaire, en remarquant que la justice est un idéal impuissant à transcender les conflits résultant nécessairement des comportements délictueux. Ce constat d’échec nous portera alors à repenser les fonctions de la peine, dont il n’est possible de réduire la diversité qu’en en hiérarchisant les priorités.
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