Le bonheur n’est-il qu’une question de chance ?

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L'analyse du professeur


Don Juan, grand seigneur et méchant homme, apparaît comme un modèle et un anti-modèle : humaniste qui fait don de son argent pour « l’amour de l’humanité », il est en même temps celui qui blasphème et agit au mépris de la dignité des femmes et des autres hommes. Son action semble en ce sens ne répondre qu’à son désir, au à la façon dont il rationalise son intérêt, et rien ne paraît pouvoir faire obstacle à sa volonté de tout faire pour être heureux. À cet égard, le bonheur de Don Juan consiste à agir de telle sorte qu’il force le destin : le séducteur ne s’en remet jamais à la fatalité et pense qu’il est capable de maîtriser les circonstances de son action afin d’obtenir les moyens de se satisfaire de façon durable.

Cet exemple pose en ce sens la question de savoir si un homme peut maîtriser ce que les anciens appelaient la fortune, c’est-à-dire d’agir de telle sorte qu’il contrôle l’aléa de ce qui de prime abord ne dépend pas directement de sa volonté. Cette question engage à réfléchir au problème de l’usage qu’un homme est capable de faire de sa liberté. Il s’agit plus exactement de réfléchir à deux difficultés implicitement présentes dans ce sujet. D’une part, l’homme est-il libre, c’est-à-dire a-t-il la possibilité d’agir comme bon lui semble et d’échapper à ce qui le détermine ? D’autre part, en agissant de la sorte, l’homme est-il assuré d’atteindre son bonheur, c’est-à-dire est-il sûr de pouvoir toujours définir par lui-même les moyens de sa satisfaction ? Ces deux dimensions du problème sont intimement liées et conduisent à envisager ce sujet comme une interrogation fondamentale et appliquée sur l’essence et l’existence de la liberté.


Nous chercherons tout d’abord à montrer que malgré le conditionnement qui paraît limiter la possibilité qu’existe quelque chose comme une liberté, l’homme peut toujours se représenter comme libre. Nous en viendrons donc à nous demander en quoi cette représentation de la liberté peut contenir un droit à agir sans considération des limites morales et politiques du devoir, uniquement pour satisfaire sa conception personnelle du bonheur. Nous serons ainsi enfin conduits à montrer qu’il est faux d’opposer égoïsme et altruisme, et qu’il faut au contraire considérer que l’homme est soumis aux lois de l’autonomie, c’est-à-dire ne peut être heureux qu’en comprenant qu’il ne peut pas tout faire.

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