La conscience est elle ce qui définit l’homme ?

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L'analyse du professeur


La fameuse madeleine de Proust est restée célèbre non seulement parce qu’elle est une métonymie de la Recherche du temps perdu, mais également parce qu’elle décrit la façon dont le jeune Marcel prend pour la première fois conscience de la valeur et de la fragilité de ses souvenirs. Sans cesse en quête de son passé, et des instants éphémères et précieux de son existence, Proust manifeste d’une façon élégante la tension qui anime tout être humain comme être conscient travaillé par le passage du temps et l’érosion de l’oubli. Si le propre de l’homme est de lutter contre la disparition de ses souvenirs, et de chercher à garder dans une mémoire vivante son vécu le plus chaleureux, il semble nécessaire de reconnaître que l’homme se définit par la possession de sa conscience. Néanmoins, la fragilité de cette conscience, toujours imparfaite parce que toujours condamnée à l’oubli et à la difficile construction d’une identité, paraît à l’inverse indiquer que l’homme ne se définit pas seulement par sa conscience actuelle des choses, mais aussi par son oubli et son inconscience.

Quelle place occupe alors réellement la conscience dans la définition de l’homme ? Suffit-elle à le définir ? Si la conscience semble inhérente à l’homme, qui possède par nature cette faculté de réflexion sur soi, cette capacité à se savoir et à se comprendre, ne faut-il pas refuser de voir cette puissance de réflexion comme une essence, dans la mesure où les obstacles que rencontre la conscience en se construisant semblent à l’inverse condamner l’homme à ne jamais se saisir pleinement ? Se pose ici le problème de savoir ce qui échappe à la conscience, c’est-à-dire de savoir dans quelle mesure la conscience a les moyens d’appréhender l’homme sans pour autant en réduire la signification à une pure abstraction de pensée.

Nous chercherons tout d’abord à montrer que la conscience est le moyen par lequel l’homme se définit, c’est-à-dire qu’elle est la faculté par laquelle l’homme parvient à trouver le sens de son existence (I). Nous montrerons toutefois que cette faculté n’est pas pour autant ce qui définit l’homme, puisque la définition qu’il construit au moyen de la conscience ne résume pas l’être de l’homme à son être conscient (II). Dès lors, nous en viendrons à reconnaître les limites de la conscience, c’est-à-dire à montrer que la conscience, faute de parvenir à réellement appréhender l’homme, n’est en fait qu’une illusion commode qui détourne l’homme de ce qu’il est réellement (III).

(...)

Plan proposé

Partie 1

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L’homme est un être double, composé d’un corps et d’un esprit, de sensations et d’intelligence. Cette dualité n’est toutefois pas équilibrée, dans la mesure où la conscience intelligente qu’il a de lui-même recouvre le mode d’être du corps, c’est-à-dire que le propre de la conscience est de fournir une explication totale de l’être de l’homme.

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Il découle de cette définition que la conscience est ce qui permet à l’homme de se définir dans un monde, c’est-à-dire de posséder une représentation de soi et de revendiquer une identité propre. La conscience est donc ce qui permet à l’homme de se définir.

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Il serait d’ailleurs faux de ne voir la conscience que comme une faculté seconde, qui se résumerait à fournir une explication de l’homme. La conscience est en effet le seul invariant de l’identité de l’homme, au sens où elle seule accompagne l’homme du début à la fin de son existence, alors que l’ensemble des autres caractéristiques de son être (physiques comme morales) sont susceptibles de varier à l’infini. La conscience est donc ce qui définit l’homme par nature.

Partie 2

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Cette dernière conclusion semble toutefois s’apparenter à un coup de force sur la nature humaine. Il apparaît en effet que si le propre de l’homme est de pouvoir construire une représentation intelligente de soi, cela n’implique pas nécessairement que l’homme soit uniquement cette substance pensante et intelligente. La conscience a donc tendance à fournir une représentation de soi qui fait silence sur ce qui échappe à son pouvoir de rationalisation.

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À cet égard, la conscience que l’homme a de lui-même est nécessairement limitée. Que ce soit en raison du rôle de l’inconscient, ou encore parce que les phénomènes qui doit analyser la conscience sont infiniment complexes, il est illusoire de croire que la conscience a le pouvoir de tout éclairer.

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Par conséquent, la conscience est ce qui a vocation à définir l’homme, mais n’y parvient jamais, parce que l’homme est trop complexe et changeant pour qu’elle parvienne à l’appréhender et à le comprendre dans ses moindres détails. La conscience est donc ce qui définirait l’homme hypothétiquement, mais ne la définit jamais actuellement et réellement.

PArtie 3

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Comment alors définir l’homme, si un reste résiste toujours au pouvoir de sa conscience ? Faire la distinction entre ce qui est actuel et ce qui est hypothétique implique de supposer que la conscience pourrait en droit tout analyser et tout comprendre. Or, dès l’instant où un reste résiste à l’emprise de la conscience, rien ne garantit que la conscience peut réellement en venir à bout, c’est-à-dire que rien ne garantit que la forme de la conscience peut épuiser le fond de l’être humain.

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Si tout n’est donc pas nécessairement et parfaitement rationalisable, s’ouvre alors la possibilité que la conscience ne soit pas ce qui définit l’homme en propre, et ne soit pas même ce qui permet à l’homme de se définir. La conscience serait ainsi une simplification commode dont userait l’homme pour posséder une représentation de soi, mais le moi resterait en lui-même caché, inconscient.

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À cet égard, il deviendrait nécessaire de penser que l’homme est un être de sensations, dont le corps constitue une identité essentielle, que la représentation consciente ne permet non seulement pas de saisir, mais risque au contraire de détourner de son mode d’être propre.